« C’est Wouf !« , tel est le slogan de la campagne publique d’information lancée par la FFAC. Sur le ton de l’humour, elle veut populariser l’aide qu’apporte le chien guide à son maitre aveugle ou malvoyant, rappeler que l’élevage et l’éducation coûtent cher alors que l’animal est remis gratuitement, et qu’il doit entrer dans tous les lieux recevant du public ainsi que dans les transports. Si la loi est claire en la matière, il persiste encore une centaine de refus remontés annuellement à l’Association Nationale des Maitres de Chiens Guides d’Aveugles (ANMCGA), précise sa présidente, Dominique Latgé : « Ils sont réglés à 95%, ajoute-t-elle. Bien d’autres refus sont traités sur place parce qu’on fournit aux maîtres le texte de loi. Il reste quelques cas irréductibles, notamment avec les taxis : des problèmes de personnes, de culture et de religion. » Sur ce sujet, l’ANMCGA veut rester discrète pour ne pas cristalliser des cas survenus au Canada ces dernières années jusqu’à ce que les sanctions à coût de milliers de dollars calment les chauffeurs de taxis velléitaires invoquant une prétendue impureté du chien selon l’Islam. « J’ai recueilli l’avis d’un théologien musulman qui précise que le chien n’est pas impur, conteste Bernadette Pilloy, vice-présidente de l’ANMCGA. On va partout, on fait des sensibilisations, c’est fatiguant de négocier mais c’est efficace. C’est douloureux quand on a son premier chien guide, quand on est refusé c’est mon handicap qu’on refuse. Les gens souffrent des refus mais tous n’en subissent pas. »

La FFAC estime à 1.500 les chiens guides en activité, auxquels il convient d’ajouter ceux qui sont éduqués et remis par des centres non affiliés, probablement quelques centaines pour un total inférieur à 2.000 pour la France entière. C’est ce qui rend les refus assez significatifs de pratiques discriminatoires, dévalorisantes, humiliantes, infligées par des commerçants ou des employés qui ne connaissent pas la loi ou, pire, la méprisent. Ils peuvent compter sur un certain laxisme policier ambiant, comme en témoigne la mésaventure vécue en septembre 2016 par un Rémois refoulé d’un bar… puis du commissariat où il voulait porter plainte ! Une situation similaire à celle qu’a endurée Dominique Latgé en 2013, à Nice : « Ce qui est ennuyeux, c’est que les personnes refusées se voient répondre par la police que les agents n’ont pas le temps de venir constater l’infraction, ou d’autres tâches à remplir. Résultat, l’infraction n’est pas constatée et il n’y a pas de sanction. » En mai 2014, un jeune homme est refusé à l’entrée du casino de Calais et les policiers refusent d’intervenir, lui répondant au téléphone qu’ils ne connaissent pas la loi ! « Les poursuites judiciaires sont très rares, poursuit Dominique Latgé, parce que les cas se résolvent ou que ça traîne, les gens se découragent. C’est une infraction sanctionnable et ouvrant droit à des dommages et intérêts. Mais on n’est sûr de gagner que sur des situations fortes. »

Côté taxis, l’ANMCGA a dû discuter avec une compagnie parisienne pour faire cesser les refus d’embarquer des chiens guides : « Il y a eu un problème avec G7 parce que beaucoup de chauffeurs s’étaient inscrits sur une liste ‘refus d’animaux’, explique Bernadette Pilloy. Pour les commerces, on distribue un autocollant ‘interdit aux chiens sauf chien guide ou d’assistance’, depuis ça va bien mieux. » Tout récemment, l’ANMCGA a constaté que le problème impliquait désormais les VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur). « L’allergie aux poils de chiens touche très peu de gens, ajoute Dominique Latgé. Beaucoup de refus viennent d’Uber, bien que les recommandations s’imposent, c’est la même réglementation que dans les taxis. Pour ces derniers, un signalement conduit généralement à une sanction après une entrevue à la préfecture de police. Mais Uber ne sanctionne pas ses chauffeurs. » Ce qu’infirme la plate-forme : « Uber va refaire un tour de sensibilisation auprès des chauffeurs, répond la porte-parole d’Uber France, en leur rappelant qu’ils risquent une amende de 450 euros et la suspension de l’utilisation de l’application mobile. » En clair, Uber retirera l’accès à sa plate-forme de réservation aux chauffeurs défaillants. « Les clients doivent faire remonter un refus via l’appli mobile, poursuit la porte-parole d’Uber, c’est facile à faire en faisant un commentaire ou en signalant le problème à l’équipe support dans l’onglet ‘Vos courses’. Elle fera le rapprochement entre le client et le chauffeur commandé. Une douzaine de signalements ont été effectués depuis janvier dernier. » A la différence d’un chauffeur de taxi dont un client aveugle ne peut lire le numéro d’identification, l’informatique de la réservation en ligne d’un VTC permet d’identifier un conducteur indélicat.

Autre sujet récurrent : l’aide animalière au titre de la Prestation de Compensation du Handicap dont le forfait mensuel est bloqué à 50 euros depuis janvier 2006, date de sa création. L’ANMCG avait réalisé à l’époque une étude sur le coût d’entretien du chien guide, qui était déjà de 120€ par mois. La Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA) estime aujourd’hui ce coût à 150€ par mois. « Les croquettes de bonne qualité coûtent cher, reprend Dominique Latgé. Les soins vétérinaires sont pris en charge si le chien est assuré, ce qui coûte environ 200€ par an et inclut le rapatriement du chien en cas d’accident du maitre. » Reste une centaine d’euros à la charge de la personne :  » Ce n’est pas encore notre combat, ça pourrait le devenir, ajoute Dominique Latgé. L’aide animalière existe, on s’en contente. Mais certains départements demandent des justificatifs, par exemple l’Hérault et la Marne. D’autres Maisons Départementales des Personnes Handicapées demandent des certificats de vaccination alors que seule celle contre la rage est obligatoire. Les maîtres répondent, et leur MDPH demande à nouveau de tels justificatifs quelques mois plus tard ! D’autres prétendent que le chien n’est pas remis gratuitement : il y a une méconnaissance du financement, de l’élevage et de l’éducation des chiens guides dans les écoles spécialisées, les personnels de MDPH sont mal formés. »

Et pas seulement eux : « L’administration centrale et le secrétariat d’État aux personnes handicapées tombent des nues, conclut Dominique Latgé. Le statut du chien guide en éducation, c’était déjà énorme de l’obtenir. Mais on a affaire à des gens qui n’y connaissent rien, et l’empathie est absente. 1.500 personnes, c’est rien en rapport de la masse de problèmes à traiter. Il n’y a pas d’évolution du dossier. On ne peut pas se battre sur tous les tableaux, par manque de volonté et d’engagement de bénévoles dans des associations. Et les ministères sont sourds. » Effectivement, pour discuter avec des personnes aveugles, ce n’est guère idéal…

Laurent Lejard, juin 2018.

Partagez !