Ce qui s’est produit lors de l’Assemblée Générale de l’Unadev le 15 juin, à Bruges (Gironde), est extrêmement rare : la majorité des adhérents présents a adopté une motion de révocation en tant qu’administrateur de son président, Alain Boutet. Les manoeuvres en coulisse n’y ont rien fait, les administrateurs irrégulièrement cooptés par le président déchu ont également été démis, le rapport moral rejeté, de même que le quitus (décharge donnée à un comptable de ses comptes, à un gérant, à un administrateur ou encore à un liquidateur de sa gestion), alors que les comptes de l’année 2018 ont été approuvés. Les adhérents ont clairement désavoué les dirigeants, qu’ils soient administrateurs ou cadres salariés tenant le pouvoir au sein de la structure. Parce qu’il s’agit bien d’une appropriation par quelques-uns des ressources de la plus importante association nationale au service des personnes déficientes visuelles.

Une gestion peu professionnelle

Il faut dire que la situation n’est guère brillante : perte d’adhérents sans volonté d’en recruter, baisse des ressources (impact des manifestations gilets jaunes, du prélèvement de l’impôt à la source, du contexte social général), retrait du label Don en confiance (lire l’actualité du 21 juin 2018), transfert partiel de patrimoine à une fondation à la manière de l’Association Valentin Haüy, succession de rapports accablants de la Cour des Comptes, grèves à répétition des salariés du siège depuis le début de l’année, instruction judiciaire suite à plaintes d’adhérents pour abus de biens sociaux et de confiance, éviction irrégulière d’un trésorier, accusations personnelles et pressions en tous genres, arrêtons ici une liste encore longue… Créée en 1929, l’Unadev est devenue nationale depuis une douzaine d’années, et dans le même temps a gagné une piètre réputation dans le milieu associatif de la déficience visuelle qui s’en méfie (lire l’actualité du 17 janvier 2014). En cause, le démarchage téléphonique de dons d’argent (que l’auteur de ces lignes a lui-même vécu à plusieurs reprises) et des pratiques gestionnaires jugées douteuses. Ce que confirme une adhérente qui veut rester anonyme pour se préserver : « Des fonds tombent dans la poche de cadres salariés dont quelques-uns sont payés plus de 100.000€ par an ! Actuellement, ce ne sont pas des salariés et des administrateurs honnêtes qui mènent la barque. » Un propos que conteste vigoureusement le porte-parole de l’Unadev qui le qualifie de faux et diffamatoire, ajoutant qu’aucun salarié perçoit plus de 100.000 euros par an. « La présidente élue en 2016, Laurence Saint-Denis, poursuit cette adhérente, n’a pas pu mener le plan de conformité de l’Unadev avec les préconisations de la Cour des Comptes. » Dans un premier rapport (lire l’actualité du 16 janvier 2014), cette dernière avait « constaté la non-conformité de l’emploi des fonds collectés à l’objet allégué, pour les exercices 2010 et 2011 », estimant à plus de 55% la part des frais de collecte, relevant des prêts accordés à des administrateurs, des rémunérations excessives, etc., là encore la liste est longue

Quatre ans plus tard, la Cour des Comptes considérait que « les dépenses engagées par l’Unadev au cours des exercices 2012 à 2016 sont conformes aux objectifs des appels à la générosité publique émis par l’association, sous quatre réserves. » Elle relevait « une surestimation des missions sociales » des Ambassadeurs Unadev, la création d’un « fonds de dotation ‘Lucie Care’ […] difficile à justifier, dès lors que ce fonds a vu ses missions s’élargir aux mêmes objets que l’association », des procédures de mise en concurrence mal appliquées, l’engagement depuis 2012 de « plus de 2,3 M€ de ressources issues de la générosité publique [dans] le projet ‘My care phone’ [qui] n’a toujours pas abouti. » Elle ajoutait que « des dysfonctionnements importants persistent ou sont apparus et l’association est désormais confrontée à des problèmes de gouvernance, tandis que les conditions de mise en oeuvre de la collecte des dons demeurent critiquables. Enfin, l’Unadev a recours, de façon importante et récurrente et dans des conditions peu transparentes, à des prestataires extérieurs, auxquels elle verse des honoraires coûteux. » L’Unadev collecte 30 millions d’euros auprès de 110.000 donateurs prélevés mensuellement et dispose d’un patrimoine immobilier évalué à 80 millions, de quoi aiguiser les appétits, comme cela s’est produit à l’AVH (lire ces enquêtes de juin 2013 et mars 2017).

Des salariés inquiets

En interne, le climat social est qualifié de délétère, ce que confirment les salariés du siège bordelais quatre fois grévistes, notamment en février et mai derniers lors d’interviews dans le quotidien Sud Ouest. Comme le relève également l’audit réalisé à la demande du Comité d’hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail : « Les salariés souffrent de démotivation, d’épuisement, et d’un sentiment d’insécurité renforcé par une méfiance latente et des comportements parfois irrespectueux, voire agressifs. Les relations de travail sont dégradées, et les jeux de pouvoir entre clans vient renforcer un climat délétère et accentue les clivages. »

La révolte des adhérents suffira-t-elle à remettre l’Unadev en ordre de marche ? Laurence Saint-Denis l’espère, qui vient tout juste d’être élue à la vice-présidence lors d’un Conseil d’Administration qui a coopté six nouveaux membres (« tous déficients visuels », précise-t-elle) pour atteindre le quorum. Un nouveau président a été élu, Marc Bolivard. « Il y avait de la défiance vis-à-vis d’Alain Boutet », estime Laurence Saint-Denis qui avait elle-même été révoquée de la présidence en mars 2018 au profit de ce dernier. Et elle se veut optimiste : « On s’est améliorés, on continue à le faire. Nos ratios sur les missions sociales ont augmenté. » Entendez par là que la part des dons consacrés à ces actions a progressé. « Il faut laisser les opérationnels travailler, et que la gouvernance se forme. Face à la forte progression de l’Unadev, on n’a pas eu le temps de se former efficacement. » Et de conclure : « On a reçu le message des adhérents… »

Laurent Lejard, juin 2019.

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