Depuis l’enfance, le goût de la navigation à la voile n’a jamais quitté Olivier Brisse, depuis ses débuts à l’âge de 10 ans sur un Optimist et l’acquisition des rudiments. Déjà sa vue était altérée par la rétinopathie pigmentaire qui empirera après ses 20 ans jusqu’à le rendre aveugle à 27 ans. Dans sa vie de voyant, il a également été initié à la planche à voile par l’un de ses oncles pour ses 12 ans, mais c’est en aveugle qu’il a pulvérisé en 2009 le record de vitesse en planche à voile pour non-voyant, atteignant les 43,7 km/h ! Dans l’intervalle, il a développé son expérience des voiliers : « J’ai commencé sur des habitables, fait beaucoup de régates en France et étranger, des championnats internationaux, des régates handisport aux USA, en Nouvelle-Zélande. » Mais sans accéder aux Jeux Paralympiques et pour cause : la voile n’était pas ouverte aux sportifs déficients visuels et a même été retirée en 2014 des disciplines en compétition…

C’est donc dans le circuit de l’International Blind Sailing qu’Olivier Brisse exprime ses talents, en inversant les choses : « Au fur et à mesure de la pratique, j’ai voulu faire évoluer mon handicap par rapport à ma pratique. Je savais que beaucoup de choses allaient changer, j’ai fait en sorte de trouver des gens, des amis, des professionnels pour trouver ma voile dans le monde classique. J’ai réussi à montrer que j’avais une place, et c’est une réussite, à travers mon expérience. » A bord, il tient les postes arrières de barre et de réglages des voiles, piano et winch. Il ne s’est pas risqué en poste avant, pour lancer foc et spi. « On me demande comment je fais pour barrer sans voir mais ce qu’on oublie, c’est que beaucoup de professionnels s’entrainent en se bandant les yeux, pour travailler les sensations… C’est totalement réalisable, avec le vent sur le visage, l’oreille pour contrôler la gite et la glisse. Isabelle Autissier me disait qu’elle avait barré avec les fesses (rires) ! Quand on est parti le 17 février dernier pour rallier Marseille à Carthage, François Xavier Adloff qui est malvoyant me donnait les angles, les indications de cap, et me disait s’il fallait loffer ou abattre. »

Cette traversée a pris trois jours et demi à l’équipage « Rêve à perte de vue » composé de cinq navigateurs aveugles et malvoyants assurant des quarts en binôme, et qui n’a pu aboutir qu’avec le soutien actif de la Fédération des Aveugles de France qui a permis de boucler le budget indispensable.

C’est l’expérience qui permet de naviguer à l’aveugle en autonomie, pas la technologie. Olivier Brisse explique : « Il existe une appli pour mobile qui vocalise les indications de cap restituées par GPS, après avoir entré la cartographie. Mais il faut un support étanche pour le mobile, qui génère des interférences en bluetooth. » Comme les instruments de bord ne sont pas vocalisés, il reste nécessaire d’embarquer un navigateur en mesure de lire leurs indications visuelles et la cartographie. « On était deux binômes sur Marseille-Carthage, on a fait peu de manoeuvres, essentiellement des longs bords. On a été assuré sans difficulté, parce qu’avec Joël Paris, qui est malvoyant, on a fait partie de Jolokia. On a subi une grosse tempête, en freinant au niveau voile, navigant au portant vent arrière, avec les grosses vagues de la Méditerranée, des creux de 6 à 8 mètres et une vitesse de 45 à 50 noeuds. » Des conditions rudes pendant une partie d’une traversée de 460 miles nautiques (740 km), et une arrivée remarquée : « A Carthage, dans la culture tunisienne, on est passé pour des cinglés, traverser sur un bateau pareil ! Cela a été très sympathique, on a été accueillis en héros ! Le handicap est considéré différemment au Maghreb. Les Tunisiens sont très admiratifs de ce qu’on fait. »

Une traversée courte pour Olivier Brisse qui a connu bien plus long, telle la Route des épices entre Port-Louis en Bretagne et Port-Louis de l’Ile Maurice, 68 jours de mer en équipage handi-valide. « Ce qui revient à chaque traversée, c’est qu’on est certes touché par le handicap, mais qu’on est là, on existe, on peut faire des choses. Pour casser les préjugés qui bloquent, et transposer dans le quotidien : avant d’être en situation de handicap, on est des humains. » Ce qu’il fait aussi dans ses activités professionnelles, en travaillant en tant qu’indépendant à la communication et la collecte de fonds en faveur de l’éducation de chiens guides d’aveugle. Avec ce credo : « Faire entrer dans la politique actuelle que le handicap, ce n’est pas rien, il faut continuer à faire évoluer la société autour du handicap, ouvrir les portes. »

Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2020.

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