Depuis vingt-cinq ans, sous la pression des uns, grâce à la mobilisation des autres, l’obligation d’accessibilité rentre dans les faits. C’est désormais la loi. Quand elle est respectée, il est indéniable que l’indépendance des personnes à mobilité réduite est améliorée. Celles-ci ne sont plus d’emblée exclues dans leurs relations sociales par une porte infranchissable ou un guichet placé trop haut.

Les barrières architecturales sont moins nombreuses et les itinéraires adaptés facilitent la circulation. Certes. Mais rappelons que l’environnement est composé d’un espace matériel et des habitants qui l’occupent. À quoi bon une rampe pour doubler un escalier devant un bureau de poste si un vélo garé là en interdit le libre accès, ou si un cerbère vous recommande de venir quand il y a moins de monde ? Comme si le fait d’être en fauteuil roulant signifiait ipso facto un emploi du temps sans contrainte… Un espace accessible, c’est un cadre hospitalier au sens premier du terme, c’est à dire qui accueille les voyageurs. Avec un aspect technique, bien visible, et un aspect moins médiatique, que l’on voudrait pouvoir appeler convivial, grâce auquel l’accessibilité devient une pratique sociale.

Prenons un exemple. Faire son marché quand on se déplace en fauteuil roulant est une expérience enrichissante. Sous une halle, sur une place ou le long d’un boulevard, l’espace est accessible. Pourtant, on se rend compte qu’on n’est pas un client ordinaire. Certains commerçants vous ignorent tant que vous ne manifestez pas bruyamment votre présence. Mais surtout, parmi les clients qui piétinent devant les étalages, nombreux sont ceux qui, aimablement, veulent vous faire de la place pour que vous circuliez, ne vous laissant jamais l’opportunité de comparer prix et qualité, de choisir et d’acheter. Le marché, lieu de vie, semble vous exclure. Il vous faut insister, parfois véhémentement, pour participer aux échanges.

Le processus d’accessibilisation participe à l’intégration des personnes handicapées s’il est pris en compte par tous les membres de la collectivité. Il y a tout un travail de formation et d’information à effectuer pour faire comprendre à la majorité que l’accessibilité ne se limite pas à un droit de passage commode d’une réserve à l’autre : lieu de vie réservé, stationnement réservé, emploi réservé, places de spectacles réservées, etc. Pour faire éclater les ségrégations, il faut obtenir en plus la faculté de s’installer au milieu de tous, pour une participation fraternelle à la vie sociale.

Pierre Brunelles, février 2001.

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