Question : Plusieurs chantiers législatifs concernant de près les personnes handicapées sont en cours. Quel est votre sentiment sur la réforme de la loi sur les institutions ?
Marie-Sophie Desaulle : La loi sur les institutions est un chantier qui a été mis en place il y a maintenant 5 ans. Il y a eu une concertation assez exemplaire avec les associations et tous ceux qui interviennent dans le champ social et médico- social. La loi veut remettre les usagers et la personne handicapée au coeur du dispositif. Les associations et les institutions sont reconnues dans tout ce qui est besoins et évaluation. Nous avons toutefois formulé des demandes de modifications à ce projet de loi : on y parle encore de « prise en charge » des personnes handicapées. Nous préférons que tout le secteur social et médico- social soit dans une logique d’accueil et d’accompagnement plutôt que de prise en charge.
Q : En pratique, quelles innovations contiendra cette loi et les estimez- vous intéressantes ? On parle beaucoup, par exemple, du début d’une doctrine d’État visant à promouvoir la vie autonome…
MSD : La loi sur les institutions n’intègre pas réellement ce changement d’état d’esprit par rapport à la vie à domicile pour les personnes handicapées. On retrouve l’idée que des services peuvent être traités de la même manière que des établissements. Désormais vont rentrer dans le dispositif de l’action sociale et médico- sociale des services pour la vie à domicile, l’éducation en milieu ordinaire et des expérimentations qui permettent aux personnes de vivre à domicile. Mais nous considérons que c’est dans la loi d’orientation qu’on doit retrouver tout ce qui est vie à domicile et nous nous battons actuellement pour que le projet de loi de modernisation sociale intègre la logique du droit à compensation, correspondant au libre choix du mode de vie par les personnes.
Q : Ce droit à compensation, affirmé notamment dans le rapport Lyasid, n’est pas financé pour l’instant…
MSD : Le droit à compensation est partiellement financé pour les aides techniques. Je ne dis pas que c’est suffisant mais c’est une amorce, sachant qu’on nous promet depuis 2 ans une table ronde entre l’État, les Conseils Généraux, l’assurance maladie et les associations pour créer un fonds de compensation et mettre finalement en commun tout l’argent qui aujourd’hui sert déjà au financement des aides techniques. L’État a amené également un peu d’argent sur les aides humaines puisqu’il propose de passer de 2.000 à 5.000 postes d’auxiliaires de vie avec financement de la subvention pour ces postes. Parallèlement, on ne touche pas à l’allocation compensatrice tierce- personne, donc les bénéficiaires risquent de ne pas pouvoir payer plus d’heures d’auxiliaires de vie qu’aujourd’hui.
Q : On a l’impression, en étudiant ces dispositifs, que l’intérêt de l’usager est assez loin puisqu’il se retrouve au milieu de procédures qui restent très complexes donc difficilement accessibles. On ne trouve pas encore de guichet unique qui intègre et prenne en charge cette complexité.
MSD : L’AFM et l’APF ont dénoncé le fait que les 16 sites pilotes dans les départements ne soient pas devenus opérationnels en 2000. Un certain nombre de processus se sont mis en place mais ne fonctionnent pas encore. Ces 16 sites, et 25 supplémentaires, devraient entrer en service en 2001 et, fin 2003, on aura dans tous les départements un lieu unique où la personne pourra s’adresser et obtenir des financements. Nous contestons la lenteur de la mise en place, liée à la culture administrative et aux difficultés pour des services « déconcentrés » de l’État de travailler ensemble.
Q : Comment l’APF réagit- elle face aux disparités de définition des critères d’attribution de la prestation spécifique dépendance, la récupération par les départements de l’allocation compensatrice tierce- personne, ainsi que sur l’attitude de présidents de conseils généraux qui ont introduisent systématiquement des recours quand une COTOREP accorde le bénéfice d’une ACTP ?
MSD : Il est inacceptable qu’en fonction du département les traitements et la compensation du handicap diffèrent. Nous le dénonçons autant pour les personnes âgées que pour les personnes handicapées. Cela veut bien dire qu’on a besoin d’une loi et d’une réglementation qui définissent clairement un cahier des charges pour que les règles soient applicables partout et de la même façon sur tout le territoire.
Q : Revenons sur l’AAH : un rapport publié en janvier 1999 préconisait une réforme de cette allocation à réserver aux seules personnes inaptes au travail. Quelle opinion avez- vous sur la question ?
MSD : Il me semble qu’il faut évoluer et sortir de la logique du minimum social. Je trouve qu’on ne peut pas accepter aujourd’hui dans notre société que des personnes dont il est avéré qu’elles ne pourront jamais travailler ne vivent qu’avec 3.500 FF par mois. De mon point de vue, elles devraient avoir un revenu qui corresponde au SMIC. Il y a sans doute une différence à faire entre des personnes qui sont en difficulté de trouver du travail, du fait ou non de leur handicap, et pour qui l’AAH se justifie, et des personnes inaptes à qui il faut donner l’équivalent du SMIC. Il y a clairement aujourd’hui une difficulté pour des personnes bénéficiant d’un certain nombre d’allocations à entrer dans le monde du travail du fait d’une perte de niveau de vie. Il y a là une réflexion spécifique à avoir pour que, sur une période donnée, il y ait à côté du salaire un complément d’allocations pour ces personnes et non une diminution de leur pouvoir d’achat. Cette réflexion est en cours à l’APF et c’est certainement un sujet qu’il faudra traiter dans la réforme de la loi d’orientation.
Q : Quelle part l’APF prend-elle à cette réforme ?
MSD : Nous sommes assez favorables à cette réforme dans la mesure où nous pouvons vraiment aborder les sujets qui nous préoccupent et éviter un réaménagement a minima. Ces sujets sont le droit à compensation et son financement, les ressources et revenus de remplacements, la répartition des compétences entre état et conseils généraux. Parce que la loi de 1975 est antérieure aux lois de décentralisation et qu’aujourd’hui il y a une complexité absolument extraordinaire pour les personnes handicapées qui dans certains cas relèvent de l’État, dans d’autres de l’assurance maladie ou encore des conseils généraux : il n’y a rien de plus compliqué pour une personne handicapée que de se retrouver dans ce maquis- là ! Il faut donc que la loi d’orientation permette de simplifier le dispositif.
Q : Abordons la question de l’emploi. Depuis 5 ans, le quota d’emploi des personnes handicapées tourne autour des 4% pour le secteur privé. Comment pensez- vous possible de redonner un coup de fouet à la politique d’emploi des personnes handicapées ?
MSD : Il faut complètement repenser la logique appliquée à l’emploi des personnes handicapées puisque le dispositif qui a été mis en place a clairement montré ses limites : nous stagnons à 4% et il n’est pas exclu qu’avec la reprise économique ce pourcentage diminue. Il faut parler en terme d’efficience de la personne handicapée et définir avec une équipe pluridisciplinaire le fait que le travailleur a, par exemple, 70% d’efficience, l’employeur payant 70% du salaire avec convention collective, l’État prenant en charge le complément de rémunération.
Q : Un sujet plus sensible : quel regard portez- vous sur l’affaire Perruche et les réactions qu’elle a suscitées ? (lire l’actualité du 17 novembre 2000 NDLR)
MSD : C’est un sujet qui touche au plus profond de l’être. Globalement, en fonction de son histoire et de ce à quoi on croit, on a certainement des réactions différentes. Ce que je peux dire au nom de l’APF, c’est que je comprends les raisons et la volonté des parents de Nicolas d’avoir recherché une indemnisation propre à assurer la qualité de vie de leur enfant. Comme je comprends les réactions des parents pour qui un arrêt de ce type laisse à penser qu’eux ont eu tort de se battre parce qu’ils ne peuvent pas accepter l’idée que leur enfant handicapé, qu’ils aiment, avec qui ils vivent, soit considéré comme étant une erreur ou un préjudice. Globalement, tout ça est lié à la souffrance des parents face à l’annonce du handicap et à la vie avec un enfant handicapé. Pour autant, ce qui me semble le plus important c’est qu’on entre dans une logique de judiciarisation et de recherche de responsabilité et d’indemnisation simplement parce que la société ne joue pas son rôle et que la solidarité nationale ne permet pas à des personnes handicapées de vivre correctement. Un enfant comme Nicolas vivrait avec 3.500 FF par mois toute sa vie. Mais le sujet dans cette affaire n’est pas l’eugénisme, c’est simplement un effet d’une loi qui date de 1975 et qui concerne l’interruption médicale de grossesse. Depuis cette date, des enfants ne sont pas nés parce que leurs parents ont décidé de faire une interruption qui était justifiée médicalement par le handicap de l’enfant. La position de l’APF est de dire que c’est le libre choix des parents, celui de la mère à disposer de son corps.
Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2001.