La lignée des Pozzo di Borgo a laissé quelques traces dans l’histoire. Dans les dernières années du 18e siècle, Carl-Andrea a joué, aux côtés de Pascal Paoli et avec le soutien des anglais, contre des Bonaparte dont le fils prodige n’était pas encore général. Durant les années 1930, le Duc Joseph a connu la prison pour avoir eu des sympathies cagoulardes. On retrouve son nom, quelques années plus tard, dans la Résistance à l’occupant nazi…
Tout semblait sourire à ce fougueux rejeton de la noblesse française, issu d’une famille ducale par le père et princière – dont deux Académiciens français – par la mère. Tout, sauf les douleurs neurologiques qui tenaillent son corps depuis huit ans. Tout, sauf la peine éperdue engendrée par la mort de son épouse Béatrice qu’il a tant aimée.
Philippe Pozzo a voulu exorciser ses souffrances dans une autobiographie récemment éditée chez Bayard sous le titre « Le second souffle« . En 200 pages qui se lisent d’un trait, il nous livre notamment une description crue, brutale, vraie, de la vie quotidienne d’un grand tétraplégique : la toilette et son fameux « TR », les soins, les spasmes, le risque d’étouffement en mangeant (la mauvaise voie!), les escarres express, l’évacuation des urines, la dépossession de son corps. Il évoque ses douleurs avec l’humour du désespoir, se décrivant comme « un steak congelé qui vient de faire un aller- retour dans une poêle brûlante et qu’on mange encore croustillant de glace ». Pozzo va plus loin dans son drame humain, dans sa peur de la solitude : « le handicap se vit très bien si on n’est pas seul, s’il y a cette énergie à vos côtés qui vous électrise dans votre immobilité ».
Seul, Philippe ne l’est pas. Ses deux enfants vivent auprès de lui. Son homme à tout faire et surtout à redonner le goût de vivre est toujours présent lors des coups durs: Abdel, un « beur » marqué par la violence urbaine et un père brutal, est son « diable gardien ». On a pu découvrir récemment, dans une émission diffusée sur France 3, la relation d’entraide mutuelle qui unit ces deux êtres marqués par la dureté de la vie. Ceux qui ne le connaissent pas penseront peut- être que Pozzo, avec ses châteaux et son Hôtel particulier du 7e arrondissement de Paris, a les moyens de bien vivre. Pourtant, ce n’est pas sa fortune qui le maintient en vie: « le handicap, la maladie sont fractures et dégradations. Dans ces instants où l’on perçoit l’échéance de la vie, l’espérance est un souffle vital qui s’amplifie; sa juste respiration en est le second souffle ». Longue vie, Philippe !
Laurent Lejard, novembre 2001.