Les places de stationnement réservé sont une nécessité pour que de nombreuses personnes à mobilité réduite puissent se déplacer en ville. Mais ce besoin est quotidiennement piétiné par des automobilistes, au mieux pressés, au pire irrespectueux des autres. Pour rétablir la liberté des personnes handicapées de se déplacer dans la Cité, deux systèmes de protection physique des places de stationnement réservé sont de plus en plus fréquemment installés : les parcs fermés et les stop-parc.

Les parcs fermés
 ont pour la plupart été créés par les grands centres commerciaux. Ils nécessitent une carte d’accès à lecture magnétique ou optique. S’ils arrivent à appeler un vigile, les clients de passage peuvent généralement se faire ouvrir la barrière. Mais pour une utilisation aisée, il faut posséder une carte spécifique d’accès à chaque parking réservé. C’est le cas par exemple des quatre hypermarchés de la proximité marseillaise qui en possèdent. L’un d’entre eux a récemment modifié son système de contrôle : l’automobiliste doit passer dans le lecteur une carte de paiement ou de crédit dont une séquence de chiffres a été préalablement entrée dans l’ordinateur du magasin. La « sécurité » avait constaté trop d’abus de personnes valides utilisant la carte d’accès obtenue pour une personne handicapée !

Les stop-parc
, quant à eux, sont des arceaux métalliques fixés au sol et abaissables au moyen d’une clé. Le conducteur doit alors demander à l’employé de garde si une place est libre, à quel niveau, et qu’on vienne la dégager. L’automobiliste devra ensuite signaler son départ afin que le gardien puisse remettre la protection en place. Idéalement, il faudrait le faire lors du paiement du stationnement effectué à une caisse automatique pour que l’emplacement ne soit pas laissé libre et sans protection. Parfois, on ne peut informer l’employé que lors du passage à la barrière de sortie. C’est notamment le cas à l’aéroport de Marseille- Provence, dont les parkings présentent toutefois un avantage particulier depuis que les places réservées sont équipées de stop- parcs : même affichant complet, vous y trouverez de la place… à condition de demander qu’on vous ouvre. Pour être efficace, le système des stop-parc nécessite une surveillance humaine. Toujours dans la région marseillaise, ceux qui équipent le magasin Castorama de Plan de Campagne sont totalement inefficaces, généralement abaissés, les places occupées par des irrespectueux. A quelques kilomètres de là, sur le parking d’Ikéa, cela fonctionne nettement mieux : un interphone installé à proximité des emplacements permet à l’automobiliste ou à son passager d’appeler un vigile pour qu’il libère une place. Là encore, l’occupant doit penser à signaler son départ. Cette contrainte s’avère pratique : on peut garer sa voiture face à l’entrée de ce magasin même un jour d’affluence, lorsque le parking est bondé.

Le stationnement devient un enjeu mercantile. Deux entreprises ont eu l’idée d’automatiser le fonctionnement du stop- parc: doté d’un moteur, l’abaissement de l’arceau est commandé par l’automobiliste, qui doit évidemment posséder la télécommande idoine. Vigipark fut la première à lancer ce système début 1999. Elle a équipé 250 places sur la voirie et dans des centres commerciaux de la région parisienne, et vendu un millier de télécommandes aux utilisateurs. Domatec a adapté son système Domapark (qui représentait 1% de son chiffre d’affaires en 2000) aux personnes handicapées pour lancer en fanfare Handipark lors du salon Handica 2001. Trois mois plus tard, la société était introduite en bourse, mettant notamment en avant son produit en direction des personnes handicapées: « les normes imposent qu’une place de parking soit réservée par tranche de 50, soit 2% – 90 000 places à équiper au total – d’où un avenir prometteur pour le programme Handipark » (Firstinvest). La société projette de doter 1.200 emplacements – soit l’équivalent des places réservées en stationnement de surface à Paris – et de diffuser gratuitement 50.000 télécommandes d’ici à la fin du printemps 2002.

Domatec n’est pas altruiste pour autant : l’arceau est payé par le commerçant ou la collectivité (plus de 1.000 euros hors taxes, pose non comprise), les télécommandes ont un prix qui doit être financé (6 euros pièce pour 10.000 unités vendues). C’est là qu’entre en scène Philippe Streiff, ex- pilote de Formule 1, tétraplégique à la suite d’un accident lors d’une compétition (lire ici son « coup de gueule »). En 1998, sa société avait lancé, en partenariat avec Elf, un système d’appel à distance pour que les pompistes viennent servir les automobilistes handicapés : 30 stations- services seulement ont été équipées, le procédé a été rapidement abandonné (un système équivalent fonctionne en Suisse dans le réseau Tamoil à la grande satisfaction de ses utilisateurs). « La difficulté majeure, c’est que nous touchions très peu de personnes handicapées » avoue la directrice de Streiff Service Plus. Cette société collecte l’argent nécessaire à la diffusion des télécommandes. Pour cela, elle a conclu un partenariat avec la société d’assurance directe Nexx, filiale de la Maaf, et annoncé dans la presse (20 juin 2001) que la compagnie versera environ 76 euros à la société de Streiff pour chaque contrat souscrit par téléphone.

Dans un créneau qui pourrait devenir lucratif, Vigipark et Domatec sont concurrentes et tiennent à le faire savoir: « le système Handipark ne fonctionne pas, nous avons rééquipé des places avec notre matériel », déclare Gérard Salin, président de l’association Vigipark, satellite de la société éponyme. Philippe Marlé, de Domatec, n’est pas en reste: « Vigipark n’est pas fiable, ses solutions ne sont pas sérieuses. C’est la guerre froide ». Un troisième concurrent prépare- t- il son arrivée? Une société spécialisée dans le conseil marketing a réalisé récemment une étude de faisabilité pour le compte d’un industriel afin de concevoir un système empêchant les automobilistes d’utiliser les emplacements réservés aux personnes à mobilité réduite.

Standardisation ou pagaille ? Face à la multiplication des initiatives intéressées, et pour que les boîtes à gant de nos voitures ne soient pas remplies de télécommandes et de cartes incompatibles avec les barrières qui nous feront face, l’idée d’une standardisation fait son chemin. Catherine Bachelier, déléguée ministérielle à l’accessibilité au ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement considère que la multiplication de ces systèmes conduit à « envisager une normalisation des boîtiers de commande afin qu’ils deviennent universels et puissent actionner aussi bien les répétiteurs sonores de feux de circulation que les systèmes vocaux d’orientation ou le déverrouillage des places de stationnement. Une proposition de normalisation en la matière pourrait être faite à l’Afnor par le groupe de réflexion stratégique pour la prise en compte des exigences d’accessibilité dans les normes qui doit rendre un premier rapport au printemps 2002 ». En clair, une seule télécommande pour actionner tous les systèmes utiles aux handicapés moteurs et aux déficients visuels. Catherine Bachelier constate toutefois que les citoyens ne sont pas également traités « puisque les personnes handicapées doivent accomplir une démarche supplémentaire, se procurer la clef ou le bip, pour accéder au stationnement en voirie ». Le ministre des Transports, Jean- Claude Gayssot, mettait en évidence l’exclusion de fait des étrangers en visite en France, dans une lettre datée du 27 avril 2001, même s’ils sont titulaires du badge de stationnement européen récemment mis en place dans le but de permettre aux automobilistes handicapés d’utiliser des places de stationnement réservées dans l’ensemble des pays de l’Union. Le ministre considère que ces systèmes « vont tout à fait dans le sens de l’intégration des personnes handicapées dans la vie ordinaire » mais que pour être efficaces, un maximum d’installations doit être réalisé tout en limitant le risque de fraude et d’utilisation abusive.

Les systèmes de protection, bien que performants, présentent des lacunes importantes. Ils peuvent aussi créer une catégorie de privilégiés : ceux qui ont la « clé » ont un accès confortable aux centres- villes ou aux parkings débordant de voitures. Le taux de vandalisme constaté à Saint- Malo, ville- pilote du système Handipark (13 emplacements équipés sur 90), est élevé : l’adjoint municipal aux personnes handicapées, Gabriel Larondelle, considère que la protection physique des places de parking est la conséquence du montant ridiculement bas de l’amende infligée aux contrevenants : « aux USA, c’est 500 dollars (580 euros) à payer tout de suite sinon la voiture part en fourrière, en Angleterre ou en Allemagne les gens respectent les emplacements ». Mais les policiers français vérifieront- ils la présence d’un macaron Gic ou d’une carte européenne de stationnement, verbaliseront- ils, feront- ils mettre en fourrière un véhicule stationnant sur une place équipée Vigipark ou Domatec ? Après tout, l’automobiliste est réputé être handicapé puisqu’il dispose de la commande qui libère l’emplacement. Ce dernier n’est plus public, mais privatif, réservé aux « abonnés ». Les sociétés qui équipent les places – au rythme actuel, il faudra 40 ans que la moitié des emplacements soit traitée – distribuent aussi les télécommandes. On pourrait donc assister à ce paradoxe : des places de stationnement urbain seront bien protégées, mais inutilisables par la plupart des personnes pour lesquelles elles ont été prévues…

Laurent Lejard, mars 2002.

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