Claude Chanzy habite à Montpellier. Il rencontre de sérieuses difficultés, depuis trois ans et demi, pour bénéficier des soins infirmiers qu’il nécessite. « Tétraplégique et diabétique, je suis dans l’obligation de rémunérer des personnes non qualifiées, à 7,20 euros de l’heure et au noir, pour me lever et pour me coucher. 150 appels téléphoniques auprès des infirmières me désespéraient alors, en octobre 1999, de trouver quelqu’un. En janvier 2000, le médecin- conseil de la CPAM pense trouver une solution auprès d’un Service de Soins Infirmiers à Domicile (SSIAD). Malheureusement, tous les SSIAD sont saturés et ne peuvent accueillir de nouvelles personnes ». S’en suivent de multiples tentatives pour trouver du personnel, en vain.

Pascal Doriguzzi est installé à Lattes, dans les environs de Montpellier. Ce quadragénaire, chercheur en sciences sociales et politiques, voit son autonomie grignotée par une Ataxie de Friedrich. Il a créé récemment une maison d’édition qui, comme toutes les jeunes entreprises, nécessite l’engagement à temps complet de ses fondateurs. Hélas, depuis le mois d’octobre 2002, il ne trouve plus d’infirmier pouvant effectuer à domicile des soins comme le lever, la toilette, le coucher, etc. Il a fait le tour des infirmiers et des associations d’emploi à d’emploi à domicile. C’est son associé qui vient aider Pascal Doriguzzi. Deux de ses amis se sont rendus à la DDASS pour rechercher une solution, l’administration leur a opposé une fin de non- recevoir.

Lassés d’être otages de la politique libérale de santé et de l’inertie de l’administration de tutelle, ils ont décidé le 6 janvier 2003 d’agir ensemble en engageant à titre personnel une grève de la faim. Tous deux sont membres du Collectif des Démocrates Handicapés et plusieurs dirigeants de cette organisation vont agir activement. Philippe van den Herreweghe, vice- président du CDH, n’apprécie guère ce moyen d’action tout en reconnaissant qu’il est ce qui reste à ceux qui n’ont que leur vie à mettre dans la balance de l’inertie et du désintérêt. Dans l’Hérault, le responsable local du CDH, Serge Villain, alerte les élus locaux, mobilise les députés qui multiplient les interventions auprès de la Secrétaire d’Etat, dialogue avec le délégué interministériel (Patrick Gohet), informe les médias et la couverture presse est immédiate : Midi Libre, France 2, France 3, TF 1, les journaux exposent à tous la détresse des grévistes de la faim. Marcel Nuss, porte- parole de la Coordination Handicap et Autonomie, est alerté: il contacte Béatrice de Casson pour qu’elle intervienne auprès de Marie- Thérèse Boisseau et de la DDASS. Toutes deux sont en déplacement en Suède. Dès le lundi suivant, Béatrice de Casson (conseillère technique au Secrétariat d’état aux Personnes Handicapées) prend l’affaire en mains et contacte la DDASS de l’Hérault ; en deux jours, des solutions pratiques sont définies. Il faudra encore attendre une dizaine de jours pour qu’elles soient validées et officialisées. L’Association des Paralysés de France met également la pression: sa délégation de l’Hérault agit auprès de la DDASS et intervient auprès des grévistes de la faim. Le 25 janvier, les grévistes suspendent leur action. Malgré leur caractère provisoire, les solutions proposées sont estimées satisfaisantes.

La grève de la faim serait- elle le seul moyen dont disposent les personnes handicapées en situation de grande dépendance ? « La médiatisation a été déterminante mais ce sont les arguments qui ont conduit à débloquer la situation, estime Serge Villain, les personnes handicapées ne peuvent être otages des problèmes de la profession infirmière et de la prise en charge des soins par les CPAM. Les autorités ne mettent pas sur la table la question d’ensemble des soins infirmiers et de l’aide à domicile, il est temps d’arrêter le colmatage ». Marcel Nuss a constaté « une volonté du ministère de régler la situation. Béatrice de Casson, qui a participé aux négociations du 11 mars 2002, affirme une détermination qui ne faiblit pas ». Marcel Nuss déplore toutefois que le nombre de personnes devant entrer dans le cadre de l’action expérimentale des personnes en situation de grande dépendance ait été ramené à 40 du fait d’une réduction des crédits budgétaires.

« Nous avons écrit à la Direction Générale de l’Action Sociale au Ministère de la santé et des personnes handicapées pour lui dire que nos délégations sont de plus en plus saisies de cas de détresse », nous dit Patrice Tripoteau chargé auprès du directeur général de l’APF des actions revendicatives. « Lorsqu’il y a une grève de la faim, les acteurs locaux se mobilisent. Le ministère n’intervient que lorsqu’il y a une médiatisation, les situations difficiles sont encore traitées au cas par cas ». Après le mouvement du 11 mars 2002, l’APF et le GIHP ont recensé en 48 heures 600 personnes en situation de grande urgence. Face à l’inertie actuelle, justifiée en haut- lieu par l’élaboration de la reforme de la loi de 1975, ces personnes n’auront- elles comme seul moyen de sortir de l’urgence que de mettre leur vie en péril ?

Laurent Lejard, février 2003.

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