Jean-Jacques Allain aurait pu ne travailler que cinq mois dans sa vie : à peine était-il embauché dans une usine de Loire Atlantique fabriquant des couches pour bébés, Peaudouce, qu’un accident de mobylette l’expédiait sur un fauteuil roulant. C’était en avril 1978, il n’avait pas encore 18 ans. C’est grâce au chargé de relations avec les entreprises du centre de rééducation qui le soignait qu’il a repris un emploi dans la même entreprise en 1980 : « Un poste a été créé pour moi, j’assurais le pesage des camions, la réception des marchandises, le standard téléphonique et du gardiennage. Ça s’est bien arrangé, on m’a même aménagé un W.C ». Treize ans plus tard, Jean- Jacques change de fonction dans la même entreprise, il gère le planning de production, les approvisionnements et les relations courantes avec les fournisseurs : « J’ai dû apprendre à utiliser un ordinateur et des logiciels, me remettre à l’anglais que j’avais simplement étudié à l’école ». Mais la reprise de Peaudouce par le groupe suédois S.C.A (Téna, Nana) sonne en 2000 le glas de l’entreprise : « Ils ont récupéré la technologie des couches- culottes, ont fait fabriquer à l’étranger puis ont liquidé l’entreprise ». Jean- Jacques se retrouve au chômage et la cellule de reclassement ne lui propose aucun emploi: « Comme la plupart des salariés, j’ai galéré ».

Jusqu’en 2003. L’ancien directeur de Peaudouce, Philippe Humbert, qui a quitté la société quand les suédois ont commencé à la dépecer, créé en 2000 une entreprise de maroquinerie à Pontchateau (Loire Atlantique) : Sker. Il décide de recruter Jean- Jacques Allain, qu’il connaissait: « Les salariés de Peaudouce fabriquaient des produits de qualité et ils ont montré leur sérieux en travaillant jusqu’au dernier jour, en servant les clients de l’entreprise ». Philippe Humbert a naturellement fait appel à quelques- uns de ces « anciens » pour travailler chez Sker : « Le pari de reconvertir ce personnel m’a paru intéressant. J’ai repris deux femmes légèrement handicapées, mais on s’est trouvé en panne de compétences et on a tenté de faire appel à la main d’oeuvre d’un Centre d’Aide par le Travail ». Une étude a débuté, mais l’expérience a été rapidement abandonnée parce que le Centre était trop éloigné pour satisfaire aux contraintes de production : « Lors de cette étude, on m’a montré que de certains postes de travail pouvaient être occupés par des travailleurs handicapés, avec des aménagements. Nous avons ainsi embauché une jeune femme handicapée mentale, Isabelle, et c’est là qu’on m’a dit que Jean- Jacques Allain était sans emploi. Je lui ai proposé de venir travailler chez Sker ».

Il aura fallu une année pour aboutir, en février 2004. Au-delà des ennuis de santé de Jean- Jacques, qui s’était cassé une jambe au début 2003, la procédure de financement par l’Agefiph de l’aménagement de son futur poste de travail a pris beaucoup de temps, plus de six mois : « J’ai reçu mi-décembre 2003 la prise en charge par l’Agefiph, précise Philippe Humbert, qui me donnait trente jours pour fournir les factures des matériels adaptés sinon nous perdions le financement ! J’en ai eu un haut- le- coeur, Noël approchait, c’était une situation complètement impossible; j’ai dû négocier un délai ». L’Agefiph a laissé à la charge de l’entreprise 10% du coût de l’aménagement. Philippe Humbert n’en revient toujours pas : « J’ai vu des grandes sociétés être complètement financées. Moi, on me demande d’autres aménagements nécessitant de modifier des machines, d’acheter un fauteuil roulant verticalisateur, il y en a pour plus de 25.000 euros et ma jeune entreprise ne peut pas supporter une partie de cette charge ». A l’Agefiph, on précise qu’un aménagement de poste de travail est financé sur des critères complexes tenant compte notamment du gain de productivité ou de la vétusté d’un matériel existant en rapport au surcoût d’un équipement adapté devant le remplacer. Cela peut conduire à ne prendre en charge qu’une partie de la dépense.

Malgré ces péripéties, Philippe Humbert est prêt à renouveler l’embauche de travailleurs handicapés : « Isabelle est souriante, elle s’entretient, elle parle avec les autres alors que quand elle a commencé chez nous elle ne disait pas bonjour. Jean- Jacques est heureux de travailler, il se cale dans la productivité des autres. Pour moi, embaucher des travailleurs handicapés n’est pas un but, et être handicapé ce n’est pas un frein ».

Laurent Lejard, mai 2004.

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