Une imprudence peut avoir de très graves conséquences, l’éleveur Yves Gaillot l’a appris à ses dépens : il venait tout juste de fêter ses 30 ans lorsqu’un accident de tracteur a entraîné la perte de sa jambe gauche. Un acte, confie-t-il, qu’il a payé dans sa chair et qui a failli le conduire à la faillite. Comme la quasi- totalité des agriculteurs, Yves Gaillot était endetté auprès des banques. Il pensait pouvoir demander une mise en invalidité qui lui aurait assuré une pension décente et aurait éteint ses dettes. Hélas, il n’était pas assez handicapé : les contrats d’assurance couvrant le remboursement des emprunts agricoles ne prenaient pas en compte une amputation, mais seulement la paralysie complète empêchant totalement de travailler et obligeant à l’emploi d’une tierce- personne pour les actes quotidiens de la vie. Durant les deux années de sa convalescence, de son appareillage et de sa rééducation, Yves Gaillot s’est retrouvé sans revenu; les échéances des emprunts n’étaient plus remboursées, lui et ses parents, qui s’étaient portés caution, étaient menacés de saisie et de vente judiciaire de leurs biens.

On lui proposait alors comme seule solution une reconversion professionnelle, autant dire un départ à zéro après une liquidation totale. Mais Yves Gaillot se demandait vers quel métier il pourrait bien s’orienter alors que le chômage atteignait des sommets au début des années 1980. Il décida donc de poursuivre l’exploitation en changeant d’activité : il liquida son élevage bovin pour le reconvertir en élevage ovin. Le travail devenait physiquement moins dur. Il négocia la reprise de ses emprunts, obtint une modification des clauses d’assurances sur les prêts agricoles pour l’étendre aux situations d’invalidité précédemment exclues, mais ne put obtenir de terres supplémentaires. Désormais, Yves Gaillot élève des agneaux de boucherie « en extensif », c’est à dire que ses bêtes paissent en pleine nature. Il lui faut des champs pour cela. Ses multiples demandes auprès de la Safer Lorraine, organisme redistributeur de terres agricoles abandonnées, sont restées sans suite.

Alors cet ancien syndicaliste, maintenant âgé de 56 ans, tempête contre les organismes agricoles et ceux qui les gèrent localement, les accusant de se servir au lieu d’être au service des agriculteurs. Yves Gaillot souhaiterait que des aides spécifiques soient attribuées aux agriculteurs handicapés. Actuellement, seule l’Agefiph finance le matériel adapté à l’exploitation agricole. Yves Gaillot a réussi à stabiliser son exploitation, et vit de son revenu qu’il cumule avec une pension d’invalidité. Celle-ci est équivalente au SMIC, et Yves Gaillot reconnaît être chanceux : lorrain, il bénéficie d’un régime spécial découlant des lois allemandes instaurées lors de l’occupation de l’Alsace et de la Lorraine entre 1870 et 1918. Dans une autre région, il n’aurait perçu que 250 euros mensuels. Vraiment dur d’être agriculteur et handicapé…

Laurent Lejard, novembre 2004.

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