Primé deux fois à la Mostra de Venise, Nominé aux Oscar 2005, Mar Adentro (titre français, Mourir pour vivre) est sorti sur les écrans français le 2 février. Réalisé par Alejandro Amenabar, il conte l’histoire vraie d’un séducteur et aventurier des mers, Ramón Sampedro, qui renonce au monde après être devenu tétraplégique à la suite d’un plongeon raté. Réfugié dans la famille de son frère, au terme de trente années passées sur un lit, il n’a plus le goût de poursuivre une vie vide de contenu et de sens et demande à mourir. Il sera aidé dans ce parcours par une association espagnole qui soutient sa demande en justice. Débouté, Ramon se tournera vers l’organisation clandestine de son suicide au cyanure, filmé en vidéo et diffusé à la télévision espagnole : cette scène insoutenable, reproduite à l’identique dans le film, montre l’horreur de la situation créée par le refus d’autoriser une euthanasie médicalisée. Ce film remet en mémoire des événements qui se sont déroulés ces dernières années dans plusieurs pays.

En décembre dernier, un jeune et brillant joueur d’échecs indien, Venkatesh, 25 ans, a demandé aux autorités de son pays d’autoriser l’arrêt des appareils qui le maintenaient en vie. Atteint par la myopathie de Duchenne, il avait perdu toute autonomie et redoutait une longue agonie dans la souffrance. La Haute Cour de justice de l’Andhra Pradesh a rejeté sa demande. Venkatesh est mort à l’hôpital, le 17 décembre 2004, mais le débat a été lancé en Inde. Pour sa part, l’anglaise Diane Pretty se savait condamnée quand elle saisit la Cour Européenne des Droits de l’Homme : une maladie du motoneurone ne lui laissait plus aucune autonomie ni chance de survie. Déboutée de sa demande d’euthanasie par la justice britannique, elle espérait un arrêt favorable des juges de Strasbourg. La décision, négative, est tombée 13 jours avant la mort de Diane Pretty, qui s’est éteinte dans la souffrance le 11 mai 2002 à l’âge de 43 ans, au sein d’un hospice anglais.

La Belgique a été émue et secouée en 2000 par le drame de Jean- Marie Lorand. Journaliste à la télévision publique, il avait animé durant de nombreuses années une émission consacrée au handicap. Progressivement paralysé par la maladie de Charcot Marie Tooth, affection neuromusculaire dégénérative, il redoutait de mourir seul, étouffé la nuit par des sécrétions pulmonaires qu’il ne pourrait évacuer sans aide. Son drame fut également celui du désarroi d’un homme seul face à une mort inéluctable : un père qui ne peut plus regarder son fils, des amis disparus, un encadrement médical réduit au maintien en vie. Journaliste jusqu’au dernier jour, Jean- Marie Lorand a confié à la caméra de Vincent Fooij ses derniers jours d’angoisse dans le documentaire « Chronique d’une mort décidée » (diffusé à la R.T.B.F puis sur France 5 en 2001). « Je ne suis pas fait pour vivre comme ça », clamait dans un sanglot cet homme qui avait eu une vie très active et qui vivait désormais dans un désert humain et un cadre de vie misérable. Le documentaire a bouleversé la Belgique et contribué à l’élaboration d’une législation sur l’euthanasie médicale.

Mais le film Mar Adentro porte le débat à un autre niveau : une personne qui ne peut physiquement mettre fin à ses jours a-t-elle le droit de se « faire suicider » sans que cette aide à la mort soit réprimée ? Un droit au suicide « esthétique » doit-il lui être reconnu ? Le choix de vie inclut-il un droit à mourir ? Oui, répond l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (A.D.M.D), qui estime que la loi française est insuffisante : « Les malades incurables ou les traumatisés non guérissables doivent pouvoir anticiper leur mort dans un cadre médical, précise le Docteur Jean Cohen, président de l’A.D.M.D. Nous avons pour la France les mêmes positions que les Pays- Bas ou la Belgique ». Ces deux pays ont adopté une législation sur la fin de vie désirée avec un encadrement médical et après s’être assuré de la volonté réelle de la personne.

Le docteur Jean Leonetti, député U.M.P qui a présidé en 2004 la mission parlementaire sur la fin de vie, n’est pas favorable à cette euthanasie médicale, invoquant le regard de la société sur le handicap. Pour lui, le danger est que les grands handicapés soient considérés comme inutiles, non rentables et devant disparaître : « Il faut faire attention au sentiment de fardeau familial, prendre garde à ce que la demande ne soit pas sociale ». Se défiant de tout angélisme, Jean Leonetti évoque le régime nazi et sa politique d’extermination des personnes handicapées, et les écrits controversés du professeur américain Peter Singer (Université de Princeton) qui propose d’euthanasier certains enfants handicapés plusieurs semaines après leur naissance. « Il n’y a pas un droit à la mort équivalent au droit à la vie, poursuit Jean Leonetti, et l’incapacité à se suicider ne créé pas un droit de substitution confié à un tiers ». Pour lui, la réponse à la demande des personnes appartient aux médecins, les soins palliatifs devant prendre le relais de l’arrêt de l’acharnement thérapeutique. C’est cette voie que les députés français ont unanimement suivi en novembre dernier. De manière définitive ?

Laurent Lejard, février 2005.

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