A la frontière de la Picardie et des Ardennes, deux voisins se font la guerre. Le premier (Gustave Kervern) est ouvrier agricole, le second (Benoît Delépine) télétravailleur. Lors d’une bagarre, ils sont écrasés par la remorque d’un tracteur et se retrouvent paraplégiques. Hospitalisés ensemble, ils rentrent chez eux le même jour et se fixent un but commun : porter plainte contre le fabriquant finlandais de la remorque, Aaltra. Ils partent sur les routes vers la Finlande, en fauteuil roulant…

Benoît Delépine est bien connu des téléspectateurs qui suivent les aventures de Michael Kael, le présentateur obsédé sexuel de C.N.L International, et ses apparitions dans la Présipauté de Groland, sur Canal Plus.

Aaltra s’inscrit toutefois dans un registre différent : presque muet, peu de dialogues, filmé dans un noir et blanc à fort contraste. Une volonté de nudité dans les effets, pour laisser le spectateur face à des personnages qui se démènent pour accomplir leur quête, atteindre ce qui a causé leur handicap, l’usine de machines agricoles Aaltra, et exiger réparation. L’imprévu est sur la route… et au bout du chemin !

Question : Qu’est-ce qui vous a amené à concevoir et tourner Aaltra ?

Benoît Delépine : On a travaillé à partir d’une vision, celle de deux paraplégiques en chaise roulante, sur une route, dans le plat pays. On s’est dit que c’était une belle idée humaine de film, et aussi graphique. On sortait alors d’une série pour Groland, Don Quichotte de la Revolución, on avait envie avec Gustave Kervern de repartir pour une aventure à deux.

Question : En interprétant des handicapés méchants ?

Benoît Delépine : Ils ont leur caractère, ils ne le perdent pas en devenant handicapés. Ce sont deux rejetés de la société qui ont un sale caractère, l’un exploité par son patron agriculteur, l’autre comme télétravailleur. Le handicap n’est qu’un accident de parcours. Et ils ne sont pas si méchants que ça, ils sont complètement dans la dèche après s’être fait voler à Bruxelles, il faut bien qu’ils s’en sortent avec leurs propres armes, l’énergie du désespoir ! Ce qui les pousse à exploiter leur handicap pour se faire recevoir chez les gens. Ce n’est pas d’une méchanceté terrible, ils sont simplement humains.

Question : Comment avez-vous perçu le fauteuil roulant ?

Benoît Delépine : On est des imaginatifs, le fauteuil roulant on voyait à peu près ce que ça fait, les problèmes pour se mouvoir. Mais le problème principal, qu’on soupçonnait en écrivant le film, c’est qu’on se retrouve au-dessous du niveau des autres, on le voit bien dans la scène de la bière, au comptoir d’un bistro. C’est ce qui a touché les spectateurs handicapés. A Rotterdam, lors d’une projection, un spectateur qui a adoré le film a voulu qu’on dîne avec lui, il nous a expliqué que le problème le plus important, pendant que les autres sont debout, c’est de se retrouver assis, de ne pas être au même niveau pour parler, ça provoque un fossé. Il nous a montré comment il avait résolu le problème : il a appuyé sur un bouton et s’est élevé dans les airs devant les clients hallucinés ! Il avait fait réaliser par un artisan un fauteuil élévateur, et il nous a dit « vous voyez, maintenant, c’est le contraire »… Depuis nos rencontres avec ces spectateurs, on a pris le simple réflexe de s’asseoir quand on parle avec des personnes handicapées.

Question : Comment voit-on le monde quand on est assis ?

Benoît Delépine : A Bruxelles, où nous avons tourné une scène de mendicité, j’ai vécu le regard fuyant des passants. L’oeil est à la fois attiré, pour nous « zapper » ensuite du regard; je trouve ça bizarre.

Question : 
Ce regard a-t-il changé dans les pays nordiques, en Suède, en Finlande ?

Benoît Delépine : Chez les nordiques, il y a davantage de naturel et d’accessibilité dans les lieux publics. Par exemple, on le voit tout de suite à Helsinki, il y a plus d’attention et de choses de prévues.

Question : Ce film vous a-t-il donné envie de jouer à nouveau un personnage handicapé ou trouvez-vous l’expérience trop dure ?

Benoît Delépine : C’est difficile à dire. Mais si un jour j’avais un accident, et ça peut arriver en deux secondes à n’importe qui, j’essaierai de me faire rapidement d’autres amis handicapés. C’est un peu la leçon de notre film, un film sur l’amitié : le handicap rapproche deux personnages de milieux sociaux différents et qui se détestaient, ils font corps. Ils parlent ensemble, ils roulent ensemble…

Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2005.

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