Il est plus facile actuellement à un agriculteur devenu handicapé de poursuivre son travail grâce aux innovations technologiques. Les tracteurs et autres matériels sont aménageables pour que des personnes paralysées des membres inférieurs puissent les utiliser, des organismes tels Groupama ou la Mutualité Sociale Agricole (M.S.A) et également l’Agefiph participent au financement. Les agriculteurs peuvent s’appuyer sur le réseau Comète pour éviter le parcours du combattant que constitue l’adaptation de matériels agricoles et d’une exploitation. Présent depuis 1992 dans 28 établissements de rééducation fonctionnelle, il pratique une démarche précoce de réinsertion après l’accident ou la maladie, procède à l’élaboration du projet de vie : « Nous devons être à l’écoute des personnes pour éviter le sur-accident, commente Natacha Manson, ergonome à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches (92). Et il convient de régler la question de la responsabilité de l’agriculteur ou du salarié utilisant un matériel qui a été adapté du fait d’un handicap ».

Un problème qu’a dû affronter Michel Vaunat, agriculteur en Dordogne, après qu’un accident de tracteur l’eut rendu paraplégique en 1989 : « Je suis rentré chez moi au moment des foins, je n’avais pas de matériel adapté. J’ai recruté un salarié, mais ça n’allait pas, compte tenu des horaires de travail, au bout d’un an je l’ai licencié et j’ai repris l’exploitation comme j’ai pu. Ça a duré un an, le temps d’acheter du matériel neuf, de le faire équiper par un mécanicien : débrayage et freinage sur la même poignée, siège de conduite qui descendait jusqu’au fauteuil roulant. Au début, il y a eu des réticences, puis finalement Groupama a participé au financement de deux tracteurs puis à l’aménagement de la maison. J’utilisais des attelages automatiques mais il fallait quelqu’un pour relier les cardans et la tuyauterie hydraulique ». C’est un mécanicien, Georges Delbos, qui a réalisé les adaptations des tracteurs de Michel Vaunat : « J’ai conçu le siège élévateur sur rail et câble, actionnée par un treuil électrique, et avec pivotement du siège. J’ai utilisé un treuil du commerce, le reste était à inventer. Au début, je n’avais réalisé que les commandes motrices. On n’a pas perdu de temps à faire homologuer ces aménagements, la procédure était plus compliquée que la conception de l’appareillage. Je cours un risque en cas d’accident, je pourrais en être déclaré responsable, j’ai accepté ce risque. Mais il faudrait qu’on soit couvert ». Michel Vaunat poursuit : « J’ai fait aménager un tracteur Ford, par le concessionnaire, ce n’était pas au point et j’ai eu un accident, sans dommages corporels. J’ai entamé une procédure contre le concessionnaire, il a dû financer la remise en état du tracteur et de la remorque endommagée. Personne ne veut prendre la responsabilité d’homologuer, tout le monde se renvoie la balle, Groupama, l’État ».

Il aura fallu au jeune Gildas Cotto une sacrée volonté pour reprendre l’exploitation familiale. « Il a dû vaincre les résistances des médecins qui doutaient de son endurance », rappelle François Boutin, technicien régional de prévention en région Bretagne. Selon lui, Gildas était le premier jeune agriculteur paraplégique à s’installer comme exploitant, en 2004, six ans après l’accident qui le rendit paraplégique. Il a bénéficié d’une étude complète de poste de travail réalisée par une structure pluridisciplinaire comportant des représentants de la M.S.A, le médecin du travail, des travailleurs sociaux, un ergothérapeute, etc. Ils ont analysé l’existant, passant au crible les bâtiments et les matériels d’une exploitation dans laquelle est pratiquée à la fois l’agriculture et l’élevage, pour définir les contraintes particulières liées au handicap. Il a fallu construire un bâtiment neuf pour remplacer l’ancienne étable, comportant des espaces de circulation avec accessibilité à la salle de traite. Mais avant que ces aménagements soient réalisés, Gildas a aidé ses parents, de 2001 à 2004, en se débrouillant.

Actuellement, il utilise un tracteur avec siège élévateur et table de transfert articulée, et a fait le choix de se déplacer sur un fauteuil roulant compact de façon à pouvoir le ranger dans la cabine du véhicule ce qui ne le rend pas dépendant d’un tiers lorsqu’il a besoin de sortir du tracteur. Le hayon élévateur a été fourni par les établissements Bourgeois, mais installé par un équipementier local, ce qui veut dire que cet aménagement n’est pas homologué.

Concessionnaire Case I.H, Angelo Bernard a conçu des aménagements pour l’un de ses clients atteint d’une sclérose en plaques : « J’ai réalisé pour lui une solution qui est dans la plus complète illégalité, pour rendre le tracteur accessible ». Didier Cornette s’est retrouvé en fauteuil roulant à la suite d’un accident, lui aussi accède à son tracteur au moyen d’un siège élévateur, un modèle standard conçu par Bourgeois. Il déplore toutefois une certaine insécurité lorsqu’il est suspendu dans le vide et constate que la standardisation de l’élévateur limite l’adaptation aux besoins de l’utilisateur handicapé. « Si les adaptations du matériel agricole sont maintenant assez bien développées, elles constituent un petit marché, estime l’équipementier Alain Bourgeois. Les aménagements nécessitent un important développement car ils doivent être adaptés à chaque modèle de tracteur. Ce n’est que depuis peu de temps que nous obtenons des constructeurs les données techniques nécessaires à la réalisation de ces adaptations ». De son côté, le Cémagref (Institut de recherche pour l’ingénierie de l’agriculture et de l’environnement) étudie actuellement l’automatisation des systèmes d’accrochages des outils agricoles au tracteur.

La balle est désormais dans le camp du Ministère de l’agriculture et de la pêche, qui espère aboutir rapidement à l’élaboration du cahier des charges permettant de faciliter l’homologation des adaptations. Un chantier qui ne sera certainement ni simple ni rapide à finaliser puisqu’il s’inscrit dans le cadre de la réglementation européenne…

Laurent Lejard, mars 2007.

Partagez !