Les gradins du cirque d’hiver Bouglione à Paris étaient bien garnis pour la 8e édition de la journée nationale Travail et handicap qu’organise chaque année la confédération syndicale de salariés Force Ouvrière. Sur la piste, outre les intervenants, quelques personnes en fauteuil roulant, et parmi elles, Éric Benoît Degros. Agent des douanes, quadragénaire depuis quelques mois, il est devenu handicapé moteur à la suite d’un accident de parapente qui lui a fait perdre l’usage de ses jambes et le confine à un corps qu’il n’assume toujours pas complètement.

« Je suis devenu handicapé il y a 18 ans, explique-t-il. Le handicap a sans doute démultiplié mon engagement syndical, je suis devenu encore plus combatif. J’ai rencontré, comme tout ceux qui deviennent handicapés, les pires difficultés pour me retrouver dans mon nouveau corps. J’ai été obligé de m’adapter, et cette obligation a pesé d’autant sur mon engagement syndical. Etre syndicaliste, c’est un moment d’engagement dans un combat. Il ne s’agit pas au début d’un projet de vie, ça le devient plus tard. Dans un premier temps, l’engagement syndical est une réaction à une situation rencontrée, et qui développe l’esprit du combat. Quand on est syndicaliste, inévitablement on va être amené à s’intéresser aux situations que connaissent les autres, celles et ceux qui travaillent ou qui tentent d’accéder au travail sans y parvenir. Cet engagement devient une activité qui nous amène à être chaque jour disponible pour répondre aux tourments de ceux qui ne parviennent pas à vivre leur condition de salariés. Je me suis engagé très tôt, quand un collègue a mis en évidence que l’on pouvait vivre autrement, et m’a démontré que ce que l’on vivait n’était pas inéluctable. Je suis en activité depuis 24 ans, cela doit faire 20 ans que je suis syndicaliste ».

La carrière professionnelle d’Éric Benoît Degros a souffert de la survenue du handicap : « Je ne m’y suis plus du tout retrouvé, bien entendu. Mon état d’être tant physique qu’intellectuel n’était plus en accord avec la situation présente. Ce déséquilibre m’a conduit à reprendre des études, qui ne m’ont pas ouvert de nouveaux débouchés. J’étais admissible au concours d’inspecteur des impôts, mais je n’ai pas été reçu à l’oral. C’est pourtant la seule réalisation concrète à donner un sens à ma reprise d’études. Je suis fonctionnaire à mi-temps, j’étudie à mi-temps, et je suis syndicaliste sur mon mi-temps professionnel. Le fil qui me rattache aux Douanes s’amincit avec le temps, il faudra le couper dans les prochaines années, pour m’assumer complètement. Aujourd’hui encore, je peine à assumer ma nouvelle condition, qui n’est plus si nouvelle que ça d’ailleurs. Une difficulté à assumer ce que je n’étais pas et que je suis devenu. Je pense ne jamais avoir effectué le deuil de ce que j’étais autrefois, mais j’assume très bien cette incapacité à surmonter la difficulté; elle est là et elle perdure. Elle repose sur ma vie d’avant, inscrite dans un cadre purement sportif ».

Car Éric Benoît Degros fut parachutiste et marathonien avant l’accident, champion de France de tir à l’arc handisport en 1998 et ceinture noire de judo. « Avoir un corps de sportif, c’est assez différent : un corps auquel j’attache de l’importance malgré tout puisqu’il me permet d’établir le contact avec les autres. Ce corps que j’entretiens m’apparaît davantage comme un moyen de transport que comme une partie intégrante de moi-même. J’ai donc progressivement évolué vers davantage de spiritualité pour ne plus avoir partie liée avec ce corps qui m’est imposé ». Féru de culture japonaise, il s’adonne à l’art délicat de l’origami et pratique le zazen.

L’Administration est restée très neutre, laissant Éric Benoît Degros se reconstruire : « Elle m’a offert la possibilité de reprendre des études avec des facilités compatibles avec la poursuite de mon activité professionnelle. Les Douanes ont une activité sociale forte, résultant de la mobilisation de ses agents ». Mais il reste à ses yeux un long chemin pour la prise en compte du handicap en France : « Je m’interroge sur la volonté politique d’assumer le handicap et plus précisément la mobilité réduite. J’ai pu récemment comparer avec la capitale du Japon, Tokyo, dans laquelle j’ai réalisé une étude sur l’accessibilité : une loi de 2006 a pris en compte le handicap dans sa globalité. J’espère qu’un jour je ressentirai cette volonté patente de prendre en compte le handicap dans la société française »…

Laurent Lejard, février 2008.

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