L’escalier adapté, introduit dans la construction à l’occasion de l’élaboration de la loi du 11 février 2005, devait constituer la solution magique à l’accessibilité des maisons individuelles neuves avec étage. Convaincue de l’ineptie de cette solution, mais étonnement seule y compris au sein du milieu associatif à en redouter les conséquences, l’Association Nationale Pour l’Intégration des Handicapés Moteurs (ANPIHM) s’est inquiétée de ce concept « d’escalier adapté » censé assurer l’accessibilité des maisons individuelles enfin soumises par la loi aux règles d’accessibilité et d’adaptabilité. En mars 2006 un édifiant échange avec l’Administration justifia cette crainte : la priorité officielle était bien davantage de ne rien changer aux « habitudes de la profession » que d’assurer la prévention de nouvelles situations de handicap.

ANPIHM : Qu’est-ce qu’un escalier adapté ?

Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction (DGUHC) : Nous allons définir par arrêté la dimension d’un escalier qui permette à une personne handicapée de l’emprunter avec une aide. Toutefois les escaliers en colimaçon ne seront pas interdits car cela nous semble exorbitant par rapport aux habitudes de la profession. En revanche, ils seront aménagés pour les rendre plus adaptés.

La réglementation préexistante imposait déjà que les escaliers des Etablissements Recevant du Public et des Bâtiments d’Habitation Collectifs permettent le portage des usagers sur brancard ou en fauteuil roulant par des professionnels qualifiés. Par contre, il semblait légitime de s’inquiéter que l’on puisse sous-entendre que le portage quotidien d’une personne en fauteuil roulant constitue une solution pérenne d’accessibilité, qui plus est dans l’intimité d’un logement. Voici ce qu’envisageait alors un projet de circulaire daté du 16 février 2007 : « Si la largeur de l’escalier permet tout juste le transport d’une personne avec son fauteuil roulant, elle autorisera surtout le passage d’une personne avec une canne ou avec une personne accompagnante ».

Notre critique sera entendue, sans pour autant que l’Administration propose la moindre solution alternative, dans un second projet de circulaire du 25 avril 2007 : « La largeur de l’escalier doit notamment permettre le passage d’une personne avec une canne ou avec une personne accompagnante ». Il reste à savoir comment il est possible qu’une personne accompagnante puisse aider une personne handicapée dans un escalier de 80 cm de large, éventuellement hélicoïdal ! La dénonciation de l’inepte concept d’escalier adapté et du scandaleux escamotage de la problématique du fauteuil roulant dans l’habitat individuel neuf restent d’actualité.

D’autant plus qu’une grossière erreur d’interprétation des règles de l’art architectural pollue plusieurs articles de la nouvelle réglementation, dont voici les conséquences pour un escalier d’ERP, sur le schéma ci-dessous. En fixant les minima à la partie la plus étroite de la marche, la réglementation préexistante respectueuse des règles de l’art, les imposait de facto sur toute la largeur de l’escalier. Au contraire, en fixant les minima à la partie la plus large de la marche, la circulaire du 30 novembre 2007 sacrifie la partie intérieure de l’escalier.

Avec comme résultat la création d’une situation, intolérable en terme de sécurité, due à l’inversion du repère de positionnement de la ligne de foulée (trajectoire habituelle de l’usager qui emprunte un escalier), qui d’intérieur devient extérieur, et de la confusion de la distance à respecter : 50 cm de la main courante ou 60 cm du mur et non 50 cm du mur. Une tentative de parade introduite en catastrophe dans la circulaire du 30 novembre 2007 ne suffira pas à convaincre les fabricants des escaliers en bois majoritairement utilisés dans l’habitat individuel : « Cette exigence n’est qu’un minimum et ne se substitue pas aux règles de l’art ou aux règles de sécurité qui peuvent être plus exigeantes ». Forts de leur savoir faire, les fabricants ont constaté que la circulaire présente une définition de la ligne de foulée en contradiction avec la norme NF P 21-210, ce qui les oblige à concevoir des escaliers non respectueux des règles de l’art et différents de ceux qu’ils détiennent en stock.

En leur nom, le député Nouveau Centre d’Ille-et-Vilaine Thierry Benoit a interrogé le ministre chargé du logement, le contraignant à répondre enfin, le 22 décembre 2009, à la question qu’il feignait d’ignorer quand seule l’ANPIHM la formulait. Certes, le constat du ministre est objectif : « La loi du 11 février 2005 [ainsi] que ses différents textes d’application desquels découle la circulaire, n’apportent pas de précision sur la distance [à laquelle se place la ligne de foulée] à retenir. Dans ce cas […] la référence peut être celle déjà retenue dans la norme NF P 21-210 ». Néanmoins, la réponse ministérielle prêterait à rire si n’était en jeu, en terme de prévention de situations de handicap dans l’habitat neuf, l’unique avancée de la loi du 11 février 2005.

Qu’attendre en effet des directives annoncées, censées expliquer comment ne pas tenir compte d’un texte par essence non-opposable ? L’acharnement à ne pas corriger l’erreur originelle démontre que la déréglementation induite est volontaire. Elle n’a d’autre fonction que de faussement prétendre adaptables des maisons neuves sans unité de vie de plain-pied, constructions qui n’ont en définitive d’autre qualité que d’offrir un abattement forfaitaire de 5 m2 de SHON, générateur d’allègements de taxes profitables aux promoteurs. Cependant, penser qu’un escalier respectueux des règles de l’art suffirait à assurer l’accessibilité intérieure d’un logement à étages est le piège dans lequel il ne faut pas tomber. Un escalier, quelles qu’en soient les caractéristiques, ne sera jamais « adapté » aux personnes contraintes à se déplacer en fauteuil roulant.


Christian François, administrateur de l’Association Nationale Pour l’Intégration des personnes Handicapées Moteurs (Anpihm), administrateur et représentant de la Coordination Handicap Autonomie (CHA) à la commission Accessibilité du Conseil National consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), mai 2010.

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