« Au départ, c’était très difficile. Mais aujourd’hui, je suis de l’un de ceux qui sont incontournables dans la maintenance des ordinateurs et le câblage réseau au Bénin. Je suis demandé partout, sur toute l’étendue du territoire ». Ainsi s’exprime Djibril Imorou. Âgé de 36 ans, il a souffert de la poliomyélite à l’âge de 5 ans et se sert d’une paire de cannes anglaises pour marcher, ainsi que d’un quad pour se déplacer. Né au nord du Bénin où il a fait ses études primaires et secondaires avec ses parents, Djibril vit seul à Cotonou depuis l’obtention de son baccalauréat. Il loue une chambre dans une concession au quartier Gbégamey.

Très pris par le travail dans son atelier situé au quartier Joncquet, l’un des plus animés de Cotonou, il affirme devoir sa réussite à sa force intérieure, et montre aux autres que le handicap n’est pas une fatalité. C’est un homme épanoui qui aime la sincérité et la vérité. Issu d’une famille pauvre, il est heureux d’avoir obtenu un baccalauréat qui lui permet d’aborder les problèmes de la vie avec un bon niveau de connaissances.

Djibril Imorou est entouré de quatre collaborateurs qu’il n’ose pas appeler apprentis à cause de l’ambiance de convivialité et de fraternité qui règne. Pour lui, la réussite d’un travail technique comme la maintenance informatique nécessite beaucoup d’attention. Il ne s’énerve pas pour changer les préjugés que les gens se font de la personne handicapée, en les désignant comme des gens qui s’énervent très vite. Il s’est très tôt installé à son propre compte au regard des réalités socioprofessionnelles des personnes handicapées dans le pays.

En effet, après son baccalauréat, il s’était inscrit en première année d’anglais à l’Université d’Abomey-Calavi, ce qu’il a fini par abandonner à cause de son amour pour les métiers de la technique. Après trois ans de formation en informatique et réseau électronique, payée avec le soutien de ses parents dans un centre de formation à Cotonou, Djibril Imorou a commencé l’expérience de la vie active avec ses péripéties.

« Les personnes handicapées ont trop de problèmes d’insertion au Bénin à cause des préjugés et de l’absence de politique nationale d’insertion. Juste après ma formation, je n’ai pas réussi à trouver un emploi à cause de ces préjugés. Le dernier que j’ai connu avant la création de mon entreprise était dans une ambassade à Cotonou. Compte tenu de mon handicap physique, la réceptionniste des dossiers avait mis mon dossier à part, alors qu’elle mettait tous les autres dossiers dans un même lot. Cela m’a intrigué quelque peu. Le jour du test, j’étais arrivé pour composer comme tout le monde. Mais jamais personne ne m’a appelé pour me donner le résultat, jusqu’au jour où je suis allé retirer mon dossier de candidature. Quelques mois plus tard, un ami m’a sollicité pour l’aider à débloquer un problème de réseau informatique qui constituait un casse tête pour des spécialistes depuis des jours. Je l’ai accompagné sur le site pour résoudre le problème et je me suis retrouvé nez à nez avec celle qui avait apparemment rejeté mon dossier lors du test de recrutement à l’ambassade. Elle était étonnée de me voir et parla en aparté avec mon ami. Pendant ce temps, j’ai décanté rapidement la situation sur le chantier. Alors, mon ami se confia à moi en me disant que la dame m’avait écarté de la liste de recrutement, malgré mes performances lors du test de recrutement d’un informaticien, à cause de mon handicap qu’elle estimait inadapté aux éventuelles activités qu’on pourrait me confier. Donc, vous voyez vous-même les problèmes que les personnes handicapées peuvent avoir. Malgré leurs performances ».

Pour Djibril Imorou, c’est certes une difficulté, mais cela l’a conduit à faire des efforts supplémentaires pour s’installer à son propre compte grâce à l’aide de ses parents et de ses proches : « Qu’en serait-il pour des personnes handicapées qui sont condamnées nécessairement à un emploi rémunéré après leurs efforts de formation ? » Il voudrait que l’Etat et les organismes internationaux se penchent sérieusement sur ces aspects qui peuvent décourager des personnes handicapées qui veulent pourtant faire bien des efforts. Il investit pratiquement tout son temps au travail, à cause des demandes de prestations qui pleuvent jour et nuit, du lundi au dimanche. Et c’est difficilement qu’il assume ses fonctions de président de Lion Handisport, qui compte quarante membres et propose comme disciplines sportives le tennis de table, la natation, le basket-ball en fauteuil roulant. Djibril a été un sportif talentueux, champion en 2003 au Sénégal, médaillé d’argent aux Jeux de l’Avenir des Personnes Handicapées d’Afrique Francophone (JAPHAF) en tennis de table en fauteuil roulant. Il joue également au basket-ball en fauteuil roulant.

Au-delà de ses efforts personnels et freinés le plus souvent par la discrimination sociale, il attend simplement un coup de pouce pour commencer à postuler à des marchés publics que d’autres, qu’il constate moins compétents, sous-traitent en faisant appel à lui parce qu’ils ont des moyens financiers pour répondre aux appels d’offres. « Le travail est libérateur. Car je fais des merveilles aujourd’hui dans ma profession. Et j’ai appris à oublier mon handicap ! Personne ne refuse de l’aide. Mais j’aurais voulu que les gens oublient leurs préjugés et voient d’abord les personnes handicapées à l’épreuve, constatent ce dont elles sont capables avant de conclure sur leur incapacité ».

Nassirou Domingo, janvier 2011.

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