Le 9 octobre dernier, les Camerounais en âge de voter se sont prononcés pour élire le Président qui dirigera le pays pendant les sept prochaines années. Parmi 7 millions de personnes inscrites sur les listes électorales selon Elections Cameroun (ELECAM), la structure chargée de l’organisation et de l’administration des élections, figurent également des personnes handicapées. Quelques mois avant les élections, ELECAM, en collaboration avec Sightsavers International a diffusé des publicités à la télévision, par voie d’affiches et sur d’autres médias, encourageant les électeurs handicapés et promettant de mettre en place des mesures devant leur faciliter l’accès au scrutin. Pourtant, très peu a été réalisé à ce sujet, avec comme résultat que de nombreuses personnes handicapées n’ont pas pris part au vote.

Pour ceux qui ont pu voter, il y a eu plusieurs obstacles à franchir : inaccessibilité à certains points de vote, difficultés à distinguer les bulletins de vote (pour les électeurs aveugles), le cas le plus choquant étant le fait de ne pas retrouver son nom sur la liste des électeurs inscrits dans le bureau de vote désigné et d’être renvoyé ailleurs. De l’avis d’André Kamga, handicapé moteur, diplômé et électeur à Yaoundé qui travaille actuellement pour le bureau Camerounais d’une organisation humanitaire hollandaise, le problème ne se situe pas du côté des politiciens mais plutôt au niveau des personnes handicapées elles-mêmes et des associations les représentant :

« Il est important que les personnes handicapées se mettent ensemble et cherchent elles-mêmes à s’introduire dans le système. Parce que les candidats se préoccupent des majorités, il est de notre intérêt de constituer une ‘majorité’ parce que c’est nous qui connaissons nos problèmes et pouvons le mieux les porter. Si nous ne les portons pas, nous ne pourrons jamais avancer ». Malgré cela, André est allé voter le 9 octobre; pour s’informer, il a écouté les propagandes de campagne à la radio et à la télévision, et a lu des informations à leurs propos sur Internet.

Aucun des candidats n’a fait allusion à un quelconque programme en faveur des personnes handicapées. Dans la même logique, Ange Romain, lui aussi diplômé et musicien aveugle, a voté à Douala, capitale économique du Cameroun où il réside et travaille, avec un sentiment de déception vu le manque d’initiative d’ELECAM et du Ministère des Affaires sociales de rendre le stress des élections moins lourd pour les personnes aveugles, en dépit de nombreuses propositions faites par des associations de personnes handicapées et les autorités gouvernementales. Toutefois, Ange Romain est ému lorsqu’il raconte comment il a fait pour suivre le programme électoral des différents candidats à la radio et à la télévision. Il se rappelle que chaque candidat à la fin de sa propagande, répétait la phrase : « Alors, choisissez le bulletin rose, blanc, vert, etc. ». Etant aveugle, il ne pouvait pas distinguer les différents bulletins uniquement par leur couleur ! N’ayant aucun autre choix, Ange Romain a mis sur pieds cette idée : « Quand je suis allé voter, quelqu’un m’a décrit chaque bulletin de vote. J’ai porté une chemise ayant plusieurs poches pour pouvoir mettre le bulletin de vote que j’ai choisi dans une poche particulière et le reste des bulletins dans une autre ». Il ajoute que malgré le fait qu’aucun candidat n’ait présenté de programme concernant les handicaps, il a voté « parce que je dois me faire entendre ».

Le Centre National pour la Réhabilitation des Handicapés d’Etoug-Ebé, à Yaoundé, était l’un des rares établissement où les citoyens handicapés ont été dirigés pour voter, probablement parce qu’il est adapté aux handicaps. Toutefois, dans ce bureau de vote, aucune autre disposition particulière n’a été élaborée en dehors du couloir arpenté par les usagers de fauteuils roulants. Saliou est un résident dudit centre, il y suit des traitements de rééducation depuis six ans. Il a profité du fait que le bureau de vote était au Centre pour voter en faveur du futur président, bien qu’ayant été incapable d’assister aux réunions politiques avant les élections comme il l’aurait souhaité : c’est à la radio et à la télévision qu’il a écouté les candidats. Rien de tout ce que ces derniers ont dit n’avait à voir avec la vie d’un jeune homme condamné au fauteuil roulant et par conséquent, ceci n’a pas influencé son choix. Il dit avoir voté parce qu’il espère que son sort va changer, et conclut par : « On ne peut qu’espérer ! »

Bien des citoyens ont été motivés par cette même espérance qui les a poussés à voter en vue du changement de leur statut. Certains ont été inspirés par les changements intervenus dans d’autres pays Africains. François Xavier Myose est l’un d’eux. Il joue dans l’équipe nationale de basketball en fauteuil roulant. Contrairement à la quasi-totalité des Camerounais handicapés, il a eu l’opportunité de visiter d’autres pays. En revenant du bureau de vote, il a passionnément raconté son expérience, se lamentant du fait que le Cameroun soit très en retard par rapport à d’autres pays africains en ce qui concerne la condition des personnes handicapées.

Tout en espérant un changement, François Xavier n’est pas certain que cela arrivera après cette élection. Et de mentionner le fait qu’aucun candidat à la présidentielle n’ait parlé de programme pour les personnes handicapées : « Tous les discours sur les médias et ailleurs n’ont donné aucune raison d’espoir pour les handicapés ». Cependant, il a voté : « pour exercer ma responsabilité civique et pour m’assurer que la paix continuera à régner au Cameroun ».

Au terme de cette élection présidentielle de 2011, on ne peut affirmer que la voix des personnes handicapées a été entendue, et ce pour plusieurs raisons : l’inaccessibilité des bureaux de vote pour ceux qui sont incapables de marcher, l’absence de bulletins de vote en braille pour les aveugles, pas de langue des signes pour les sourds, autant pendant la campagne qu’au jour des élections. Pendant que le Président élu se prépare pour un nouveau mandat de sept ans, la situation concernant les invalides ne figure peut être pas dans l’agenda; mais, pour la communauté handicapée, ce sera une sonnette d’alarme, un moment de réflexion sur leur stratégie, afin d’assurer une participation effective aux prochaines élections. Ceci peut aussi être un moment de préparation pour présenter des candidats handicapés. C’est ce qu’André Kamga a l’intention de mettre sur pied; et il promet ainsi de faire mieux…

Hilda Bih, octobre 2011.

Partagez !