Le célèbre coureur automobile Michael Schumacher a, depuis quelques mois, un autre visage, celui d’un enfant de huit à dix ans, paralysé des jambes et qui se déplace en fauteuil roulant. Héros d’une série en bande dessinée, ses péripéties du quotidien sont rassemblées dans deux albums dont le second vient d’être publié par l’éditeur suisse Paquet. Au scénario, Zidrou (Benoit Drousie), connu pour son élève Ducobu porté récemment au cinéma : « C’est parti sur un coup de fil du dessinateur E411 (David Evrard) qui cherchait une collaboration. On a réfléchi, j’ai proposé un enfant handicapé, pour donner une autre image du handicap. Et l’idée est venue d’un enfant en chaise roulante, c’est limpide à concevoir. J’ai fait trois gags, et c’est parti, instinctivement, ça s’est mis en place. »

Le petit monde de Schumi est formé de parents aimants et positifs, dont le père est créatif et débrouillard, d’une petite soeur rayonnante qui sait défendre son frère quand on lui fait du mal, d’une école mal accessible avec des amis et une teigne, d’un instituteur dégoulinant de commisération pour Schumi. « Après nous être mis d’accord sur les caractéristiques de notre personnage, poursuit E411, il a fallu déterminer le public qu’on voulait viser. Zidrou voulait s’adresser à un public plus ado, et moi, je ne jure que par le tout public ! J’ai fini par le convaincre. Quant au look de Schumi, je voulais qu’il ait un côté jeune et impertinent, j’ai donc opté pour des cheveux bouclés roux et une casquette à l’envers. » L’ensemble forme l’univers frais et dynamique d’un enfant bien dans sa peau, malgré les difficultés qu’il subit parfois, pour porter un autre regard sur le handicap, entre assumation et refus de l’exclusion.

« J’ai été instituteur en Belgique, reprend Zidrou. J’avais tenté de faire intégrer un enfant trisomique à l’école, sans succès. Alors qu’ici à Ronda [Espagne] où je vis, il y a trois jeunes trisomiques que l’on voit partout en ville, et aux matches de foot. » E411 appuie le propos : « Les problèmes d’accessibilité, on en parle de plus en plus. Si Schumi pouvait un peu en être l’ambassadeur pour résoudre ces problèmes, j’en serais ravi. Mais c’est une BD humoristique, donc tout y est schématisé et caricaturé à l’extrême, et son fauteuil a été assez vite réduit à sa plus simple expression. On le voit, il n’est pas du tout réaliste, comme ne le sont pas non plus tous les personnages et les décors de cette série. Il y a aussi ce vélo actionné par les bras : avant de me documenter pour le dessiner dans le tome 2, je ne savais même pas que ça existait ! Et je me suis un peu documenté pour le fauteuil roulant de Schumi, parce que je n’avais pas encore beaucoup eu l’occasion d’en dessiner. Zidrou l’a voulu électrique dès le départ, il m’a dit ‘Ils ont tous ça, maintenant’… Et puis, ce moteur, beaucoup plus rapide que dans la réalité, pouvait amener des choses plus amusantes visuellement : courses entre fauteuils genre F1, moteur qui s’emballe, etc. »

C’est en effet par le gag que les sujets sérieux sont traités, comme l’inaccessibilité, le regard, la relation aux autres. Par le délire aussi, ou le décalage, tel ce personnage d’extra-terrestre répondant au joli nom d’Armand de la Batelière (!) et qui est censé être à l’origine de la paraplégie de Schumi. On est bien dans un monde enfantin, fait pour distraire et éduquer intelligemment, en ouvrant l’esprit des lecteurs à des réalités inattendues. Si on ne voit pas les grands-parents de Schumi, on suit ses combats avec une mémé roublarde qui triche à la course en fauteuil roulant dans le premier album, puis un policier aussi bête que vindicatif dans le second. « Ce policier stupide et agressif applique la loi de manière musclée, précise Zidrou. C’est une dénonciation de tous les policiers, une tradition de l’école franco-belge de la bande dessinée. »

Mais il semble encore difficile de présenter en bande dessinée un héros handicapé sans l’accompagner d’un propos compassionnel : ainsi, pour l’achat du premier album de Schumi, 1€ est versé à Handicap International Suisse, et le second est préfacé par Philippe Pozzo di Borgo, riche aristocrate tétraplégique dont la vie a été adaptée dans le célèbre film Intouchables. « Au départ, nous avions pensé à des personnes d’un milieu totalement différent pour préfacer le premier tome, justifie E411. Il avait été question d’abord de Jean Graton, l’auteur de Michel Vaillant auquel il est fait un clin d’oeil dans l’album, et aussi du vrai Schumacher évidemment, mais il n’a pas donné suite. Quant à Philippe Pozzo di Borgo, il a apprécié la BD et a tout de suite répondu par la positive. Sa préface est à son image, tout sauf larmoyante. »

Zidrou appuie l’argument : « Il faut penser au public, qui ne réfléchit pas comme nous. Pour le premier album, c’était une volonté de l’éditeur. Pour le second, il fallait que le livre entre dans les mains du lecteur, ce n’est pas honteux, ça fonctionne avec des personnalités. A Bruxelles, on a présenté le second album à la ministre belge chargée des personnes handicapées, là il y avait des journalistes. Le marché de la bande dessinée est très dur. » Avec plus de 5.000 titres en langue française publiés chaque année, distinguer un album est une tâche ardue, d’autant plus que les auteurs de Schumi espèrent le porter à l’écran grâce à une série animée; les discussions devraient aller bon train dans les couloirs du prochain festival du film de Cannes, pour trouver le producteur et le distributeur qui vont croire dans le produit. « Il faut qu’on se bouge pour que la série fonctionne, reprend Zidrou, soit adaptée en dessin animé, vive et se poursuive. »

Quel avenir pour Schumi ? Le personnage restera probablement physiquement le même, sans que son âge évolue, pour ne pas désarçonner le public : « On attend de voir ce qui se passera avec le projet de série animée, conclut Zidrou. On surveille les ventes du numéro 2, avant d’écrire et publier le troisième, peut-être en 2013. » A suivre, donc, si le public est au rendez-vous.

Laurent Lejard, mai 2012.

Les deux premiers volumes de Schumi ont été publiés chez Paquet, 10€ et 10,50€, chez l’éditeur et en librairies.

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