Instaurée légalement ou tolérée dans plusieurs pays d’Europe ainsi que dans des Etats des USA, l’assistance sexuelle (lire ce Focus) n’est pas réglementée en France. Elle n’est donc ni autorisée ni interdite, et de fait non sanctionnable si l’acte est réalisé à titre gratuit. Mais s’il est payant, les personnes qui proposent une assistance sexuelle ou en bénéficient risquent en permanence une incrimination au titre de la répression du proxénétisme. Le Collectif Handicap et Sexualité (CH(s)OSE) créé en janvier 2011 par plusieurs associations s’efforce de faire avancer cette nouvelle revendication : obtenir une aide humaine spécialisée aux personnes qui, du fait de leur handicap, ne peuvent avoir de manière autonome une vie sexuelle, prise en charge au titre de la Prestation de Compensation du Handicap. Ce collectif a organisé à Paris début février un colloque destiné à relancer la mobilisation et interpeller le Président de la République par une lettre ouverte. « Nous voulons sortir de l’anonymat ! », scandait à la tribune la journaliste Julia Tabath, l’une des dirigeantes de CH(s)OSE.

Prostitution or not prostitution ?

Une assistance sexuelle : pourquoi ? Willy Rougier, militant de l’Association des Paralysés de France témoigne : « J’ai découvert la sexualité avec une personne qui est devenue mon assistante sexuelle, que j’ai connue en parlant de mes problèmes de vie affective et sexuelle. J’ai été violé à l’âge de 13-14 ans dans un établissement médico-social par un ancien militaire, j’ai dénoncé ça au directeur qui m’a répondu ‘c’est un fantasme de ta part, ça n’existe pas dans mon établissement’ ! La première fois que j’ai choisi un partenaire, j’avais 18 ans, en demandant franchement à ma mère de trouver une prostituée. Avant, j’avais subi les refus de jeunes femmes du centre qui ne voulaient pas de ‘handicapé’. J’ai eu beaucoup de plaisir, découvert le corps de la femme; elle a dit qu’elle avait eu du plaisir. » Comme bien d’autres hommes, Willy Rougier a découvert l’amour physique avec une travailleuse du sexe, avec la dimension particulière de son handicap physique qui ne lui permettait pas « d’aller aux putes » selon l’expression vulgaire, mais l’a conduit à en faire venir une chez lui.

Depuis, il a recours à une assistante sexuelle pour des « caresses mutuelles, un dialogue. On ne regarde pas la pendule. Elle m’aide à me déshabiller, m’habiller. Placée sur la table de nuit, la boite de préservatifs a soulevé des interrogations d’auxiliaires de vie stagiaires, qui m’ont demandé si je pouvais faire l’amour, ‘oui, mais pas comme vous’ je leur ai répondu. Dans l’esprit des gens, la personne handicapée est asexuée. Adolescent, j’ai été puni en parlant de sexualité. » Pourtant, Willy Rougier a eu, et a toujours, une vie sociale qui lui fait rencontrer des gens, et aussi l’amour jusqu’au mariage. Sauf que : « J’ai été marié, ça s’est mal passé, j’étais violenté, j’ai divorcé. Ça a été une décision difficile à prendre, j’ai hésité longtemps ». Mais quelle est la part de son handicap dans le naufrage de son mariage : est-ce l’homme et son caractère avec sa capacité à vivre à deux qui a été rejeté ? Il précise avoir, depuis, « des relations sexuelles fréquentes pour combattre les frustrations et construire une relation. J’ai plus confiance en moi avec l’assistance sexuelle. » Une relation qui n’implique pas les sentiments et ne résout pas le besoin d’amour intrinsèque à l’être humain. Au final, un témoignage qui, aussi spectaculaire soit-il, ne combat pas, voire conforte le principal argument des opposants à l’assistance sexuelle…

Un service social de l’assistance sexuelle ?

Opposition présente dans la salle : « Je suis là pour essayer de comprendre, est intervenue Maudy Piot, psychanalyste, fondatrice et présidente de l’association Femmes pour le Dire Femmes pour Agir (FDFA). Sans compassion ni misérabilisme. Qu’est-ce que c’est être une personne ? Avoir des droits et des devoirs, participer à la vie sociale, faire des rencontres. » Si, par rapport à ses précédentes interventions publiques, son propos apparaît plus pondéré, Maudy Piot assène encore cet argument du Mouvement du Nid (militant actif pour l’abolition de la prostitution) selon lequel la demande d’assistance sexuelle serait exclusivement masculine, ce que l’enquête du documentariste Jean-Michel Carré infirme clairement. Maudy Piot place la relation avec les autres au centre de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées : « Est-ce que ce n’est pas à nous d’inventer notre sexualité ? La compensation que nous voulons c’est de rencontrer l’autre. Permettons que dans les institutions il y ait un droit à la relation. »

A qui s’adresserait une assistance sexuelle prise en charge au titre de la compensation du handicap ? Les parcours de vie de personnes parmi les plus lourdement handicapées, entièrement paralysées comme le sont Marie-Antoinette Vicaire ou Marcel Nuss (tous deux absents au colloque), montrent que la vie affective et sexuelle est étroitement liée aux qualités humaines et à la capacité à interagir avec les autres. Ce que confirme Laetitia Petitjean, une jeune femme entièrement paralysée : « J’ai eu plusieurs relations sexuelles en m’en donnant les moyens, en faisant des rencontres sur Internet. Avec des hommes pas formés au handicap. Moi, je ne connais pas mon corps. Mais qui je suis pour interdire à une personne handicapée de découvrir son corps et de se connaître un peu, surtout quand ça ne nuit à personne ? »

L’accessibilité contribue à la sexualité.

De fait, l’assistance sexuelle est pratiquée depuis longtemps dans l’intimité et le secret des appartements et même d’institutions médico-sociales; bien des personnels en ont témoigné, mais pas dans ce colloque. « Un sondage Ifop de 2006 donnait 61% de réponses négatives sur la capacité des personnes handicapées à avoir une sexualité, se souvient Véronique Dubarry, adjointe chargée du handicap au Conseil de Paris. L’accessibilité, c’est également l’accès à la sexualité. À l’école, il y a de l’éducation sexuelle. Mais les structures médico-sociales n’apportent pas assez de réponses, alors que c’est leur rôle. Dans les nouveaux projets d’établissements à Paris, il y a des chambres doubles. Il faut développer un ensemble de réponses, accessibilité, aide à la sexualité. Les réponses toutes faites ne sont pas la vraie vie, tout est dans les choix qui fondent notre citoyenneté. »

Ces évidences rappelées, qui aurait, du fait de son handicap, effectivement besoin d’un service d’assistance sexuelle pris en charge ? « L’assistance sexuelle n’est pas binaire, estime Pascale Ribes, présidente de CH(s)OSE et vice-présidente de l’APF. Elle dépend de la situation de la personne handicapée. Mais nous ne mettons pas de curseur pour en bénéficier, par exemple les personnes qui ont accès à leur corps. » Une revendication confirmée par Julia Tabath : « On n’envisage pas de curseur, mais d’étudier une situation. » Une bénévole de l’APF évoque son expérience : « Je suis confrontée à l’accompagnement de la parole et de la souffrance de ne pas avoir accès à son corps. Il existe une démarche qui n’est pas réalisée de faire connaître le plaisir. Qui accompagne les jeunes en foyer qui nouent une relation affective sans pouvoir passer à l’acte sexuel ? » Président de la Coordination Handicap et Autonomie et administrateur de CH(s)OSE, Jean-Pierre Ringler approuve : « On ne vit pas dans un monde de Bisounours. Des personnes handicapées mentales ne peuvent pas avoir de relations et somatisent. »

Où sont les politiques ?

Pas de barrières a priori mais une étude au cas par cas, tel pourrait être le public concerné. Reste la charge financière de l’assistance sexuelle. « En tant que présidente de Maison Départementale des Personnes Handicapées, je m’interrogeais déjà il y a deux ans et me suis fait traiter de proxénète ! » se souvient Véronique Dubarry, qui ajoute : « Marcel Nuss rappelle la notion de personne à considérer comme telle et pas comme un pauvre handicapé, qu’accompagner n’est pas assister, qu’il faut sortir les personnes handicapées de l’assistanat pour qu’elles se débrouillent seules. Mais avec le chômage et les inégalités, cet objectif reste idéal, alors la Prestation de Compensation du Handicap et les fonds départementaux de compensation peuvent servir à cela. » Reste à convaincre les décideurs : « Le personnel politique a un rôle à jouer pour lancer, animer le débat, conclut Véronique Dubarry. Cela dépend de la pression publique, à faire feu de tout bois en s’appropriant la question. Mais cela suppose une très forte pression. » Si le département de Paris semble acquis à la cause, il reste au collectif CH(s)OSE à convaincre les présidents de Conseils Généraux : hélas, aucun représentant de l’Assemblée des Départements de France n’était convié. Une occasion ratée ?

Laurent Lejard, février 2013.

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