En 1910, lors d’un été chaud sous les platanes du boulodrome, ou « Jeu de Boules Béraud », dans la commune industrielle et maritime de La Ciotat (Bouches-du-Rhône), se produisit un événement aussi important pour nous, Méridionaux, que l’invention du Pastis : la création de la pétanque. Remarquons aussi que ces deux inventions « sudistes » sont aujourd’hui complémentaires; voici en quelques lignes de quoi il s’agit…

Imaginez un terrain de terre grand comme un stade de football (qui existe toujours) bien ombragé avec un cabanon dans un coin pour les agapes d’après efforts (aïoli, pieds et paquets, absinthe, rien que de l’authentique), des chaises pour les spectateurs louées un sou et surtout une foule de Ciotadens passionnés de jeu provençal dit aussi « à la longue » : il nécessitait de faire plusieurs pas pour lancer la boule dans l’élan afin de l’approcher d’un but ou « bouchon » placé à 15 ou 20 mètres des joueurs. Ce terrain est situé à proximité du cimetière de la ville pour le calme du lieu (dixit un arrêté municipal!), et devenait pourtant un des endroits des plus bruyants à cause des galéjades, blagues, remarques, commérages et commentaires faits avec la verve que seuls les Méridionaux ont ! Surtout lorsqu’ils sont pêcheurs, paysans, ou ouvriers des chantiers navals de l’époque, souvent aussi des gavachons… Donc pour jouer « à la longue » il était nécessaire d’être valide, relativement sportif et avoir une bonne descente !

C’est alors qu’intervient notre créateur. Parmi ce public qui suivait ces parties, cloué sur une chaise, un nommé Jules Hughes dit « le Noir » pestait contre ses maudits rhumatismes qui faisaient de lui, bouillonnant boulomane, un lamentable spectateur. Ce qui ne l’empêchait pas de quitter chaque jour son bar du port et se traîner jusqu’au jeu de boules assez éloigné de son établissement. Donc, notre Jules l’impotent, « malheureux comme les pierres », ne pouvant participer au jeu, avait imaginé d’envoyer à 2 ou 3 mètres une boule et de la « tirer » depuis sa chaise: « Je m’entraîne », disait-il tout estranciné, l’oeil triste. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est qu’Ernest Pitiot, le gérant du boulodrome l’observait du coin de l’oeil : « Jules mon collègue, j’ai dans l’idée qu’on pourrait jouer tous les deux. Je t’explique : toi tu restes assis et tu ‘pointes’ ta boule depuis ta chaise de souffrances, moi je trace un rond sur le sol autour des pieds de celle-ci et ainsi je joue à mon tour depuis la même place. Ça te va ? » Cela a tellement plu à Jules et à Ernest qu’il recommencèrent le lendemain, le surlendemain et toute la sainte semaine, et que la galerie de spectateurs ne cessa d’augmenter, et que de nombreux émules se firent à La Ciotat : la Pétanque était née !

Ce jeu, Péd Tancas en provençal, Pieds Tanqués en franco-provençal et Pétanque en français, se propagea très rapidement dans les environs et ensuite, grâce aux nombreux navigateurs de La Ciotat (à cette époque les chantiers navals de la cité étaient la propriété des Messageries Maritimes) qui l’exportèrent dans le monde entier. Personnellement, moi qui ai un peu bourlingué, je me souviens de parties de pétanque homériques à Douala, Diego Suarez ou Abidjan, car un Méridional ne se déplace jamais sans ses boules… de pétanque bien sur ! Aujourd’hui toute la France connaît l’affiche réalisée par Dubout lors de la sortie de la trilogie de Marcel Pagnol ou l’on voit César, Panisse et Escartefigue si concentrés sur leur jeu qu’ils en oublient qu’ils sont sur la voie du tramway du Redon à Marseille et que ce dernier est obligé d’attendre qu’ils aient terminé ! Il faut dire aussi que tous les passagers, en bons Marseillais, ne pouvaient que trouver ça naturel. Pour nous, c’est tout ça la Pétanque, mais nous aurons toujours à l’esprit que grâce à Jules et son handicap, jamais ce jeu devenu mondial (et peut-être bientôt olympique) n’aurait pu exister.


Pierre Péron, boulomane, février 2016.


A noter que le Musée ciotaden, partiellement accessible en fauteuil roulant, présente des objets et documents historiques sur la création de la pétanque, notamment le document rédigé en 1910 par Ernest Pitiot relatant cette invention, les premières boules en buis cloutées, et la « Fanny » historique récompensant une équipe qui ne remporte aucun point dans une partie…

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