Un nageur ondule dans l’eau à la manière d’un dauphin, mouvement souple et efficace qui le propulse aussi vite qu’un autre nageur : c’est Thierry Corbalan, 57 ans, amputé des deux bras depuis un accident survenu en 1988. Une électrocution par arc électrique, la même cause qui a coûté à l’aventurier et nageur Philippe Croizon une quadruple amputation. Athlétique, soucieux d’entretenir son corps sans le brusquer, supporter la souffrance sans s’en plaindre, Thierry Corbalan pratique la nage monopalme depuis une dizaine d’années. Son premier défi fut une traversée entre Mandelieu et Cannes; celui dont il est le plus fier était de rallier l’Île d’Elbe aux marines de Sisco. Il a également nagé au Groenland dans une eau à -2° pour montrer aux habitants que le corps peut résister quand on a la volonté, que tomber à l’eau n’est pas obligatoirement fatal. Et il s’est lancé en septembre 2015 dans un tour de Corse à la nage malheureusement interrompu au soir du troisième jour par une mer menaçante. Dans cette période, Fabrice Marinoni a réalisé pour VNProd, qui gère Handisport TV, un film documentaire que Thierry Corbalan a récemment présenté au public parisien. « C’est une rencontre, commente Fabrice Marinoni, à l’occasion du tournage en Corse d’un documentaire sur un homme amputé d’une jambe. Avec Thierry, je me suis aperçu qu’il y avait un personnage fort, avec une vision de la vie, qui a tiré des conclusions très intéressantes de ce qu’il a vécu, sur son accident, comment vivre après, ce qu’il faut retenir de cette étape douloureuse, comment se reconstruire et être plus fort qu’auparavant. C’est quelqu’un de très humble, qui fait des performances exceptionnelles, qui montre que le handicap n’est pas une fin, loin de là. Il n’a pas besoin de grands discours, il le fait dans l’action. » Qu’est-ce qu’en dit le principal intéressé ?

Question : Vous présentez un film réalisé d’après votre seconde vie; qu’est-ce qui vous a poussé à l’exposer à l’écran ?

Thierry Corbalan : 
Cela fait quelques temps que j’avais envie de montrer mon parcours en images, justement pour donner de l’espoir aux gens, montrer que malgré un handicap on pouvait rebondir et faire plein de choses. Je voulais aussi mettre en avant les personnes qui m’aident au quotidien, et ceux qui m’ont aidé depuis le début à devenir celui que je suis aujourd’hui.

Question : Ce qui veut dire qu’en ce début de XXIe siècle il faut encore prouver, démontrer ?

Thierry Corbalan : Absolument. Je crois que les gens considèrent les personnes handicapées comme des personnes qui ne peuvent pas faire les choses. Le fait de montrer que l’on peut faire les mêmes choses que les personnes valides, mais différemment, ça peut peut-être faire changer le regard des gens.

Question : Justement, le regard porté sur vous a changé après votre accident et que vous avez été amputé des deux bras, comment l’avez-vous vécu et surmonté ?

Thierry Corbalan : Au début je l’ai très mal vécu, le regard des gens me dérangeait énormément parce que moi-même je n’avais pas encore digéré mon handicap. A partir du moment où j’ai surmonté le handicap, le regard ne me dérangeait plus. Si les gens me regardaient, eh bien tant pis pour eux, ça ne me posait aucun problème, et de toutes façons on ne peut pas faire changer les gens. Ce n’est pas moi qui allait changer pour eux !

Question : Vous habitez en Corse, île qui a la réputation d’être difficile pour les personnes handicapées, avec des phénomènes de rejet; qu’en est-il pour vous ?

Thierry Corbalan :
 Je ne suis pas né en Corse, j’y vis depuis douze ans. Je pense que j’ai été très bien accepté par les Corses, malgré mon handicap. Je pense que les Corses ne sont pas hostiles au handicap. Par contre, il y a beaucoup de choses à faire, en Corse l’accessibilité est encore compliquée, il y a peut-être aussi un problème de moyens. Mais les personnes handicapées sont très bien vues, le seul souci ce sont les difficultés pour se déplacer et des aménagements qui ne sont pas faits partout.

Question : Vous préparez d’autres défis, d’autres aventures ?

Thierry Corbalan : Cette année, au mois de septembre, je vais tenter une traversée à la nage de 80 kilomètres non-stop en 24 heures, ce sera mon défi le plus long si j’arrive à le boucler, entre l’ile italienne de Monte-Cristo et Bastia. On va essayer de médiatiser, pour montrer que c’est possible avec de la ténacité et beaucoup de volonté.

Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2017.

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