Il est parti de chez lui, à Lectoure (Gers) le 4 janvier dernier pour rallier Paris en vingt jours afin de rencontrer le Président de la République, Emmanuel Macron. Le credo d’Édouard Detrez, 26 ans : il faut donner au Fauteuil Roulant Français les moyens de vivre. Derrière ce nom, la raison sociale de l’entreprise qu’il a créée en août 2015 pour concevoir et fabriquer intégralement en France une gamme complète de fauteuils actifs et sportifs. Un marché de plus de 160 millions d’euros dans lequel il espère trouver sa place. Le Fauteuil Roulant Français, c’est un modèle actif commercialisé et trois autres en cours d’homologation, un parcours long et coûteux. L’objectif est de proposer une gamme cohérente assurant d’affronter des concurrents installés et qui réalisent un chiffre d’affaires conséquent. Mais bien que maintes fois récompensée, l’entreprise est dans une phase délicate au moment où elle doit franchir un palier d’investissement : les banques ne veulent pas s’engager sans que des investisseurs mettent des billes, un obstacle vécu par la plupart des créateurs d’entreprises. Pourtant, ce fauteuil sait convaincre : on le verra au cinéma à partir du 14 mars dans le premier film réalisé par l’humoriste Franck Dubosc, Tout le monde debout, utilisé par Alexandra Lamy dans un rôle de femme paraplégique. Mais cette reconnaissance ne suffit pas : Édouard Detrez constate que les financements coulent à flots pour les startups proposant des applis et innovations technologiques fréquemment redondantes, alors que rien n’est prévu pour l’innovation en matière d’aides techniques.

Alors il a lancé un défi : convaincre en traversant la France « à roulettes », plus de 700 kilomètres en fauteuil roulant manuel, à la force des bras, par tous les temps, pour enchaîner côtes, plaines, plateaux, campagnes, villes… Lors de chaque étape, une rencontre avec de simples gens et des élus locaux. « Les réactions sont toutes très positives, relate Édouard Detrez. Moi j’insiste beaucoup sur le côté positif et engagé de cette traversée et de cette démarche-là, de ce défi physique aussi parce qu’il y a un peu ça. Toutes les personnes sont derrière moi, envoient des messages d’encouragement. Je me rends compte que tout seul on n’arrive pas à grand chose, c’est avec un ensemble qu’on atteint un résultat. »

Son entreprise a pu trouver les moyens d’élaborer ses premiers modèles : « La Recherche et Développement a été soutenue par des banques, poursuit Édouard Detrez, la Région Occitanie a contribué avec son fonds d’amorçage. Mais aujourd’hui les acteurs bancaires disent que l’entreprise a une vocation industrielle et par rapport à nos ambitions, on doit s’adosser à des investisseurs pour passer un palier. Tout le monde me dit ‘Édouard, ce que tu fais, c’est super, par contre on n’investit pas’ ! D’autres investisseurs sont volontaires mais pour une autre étape, quand on va se diversifier, mais c’est l’après. Il faut déjà nous aider sur le coeur, la fabrication des fauteuils. Je fais cette traversée pour interpeller les investisseurs, ‘le p’tit jeune fait 700 kilomètres à bout de bras, peut-être que là on va venir’. C’est délicat pour un investisseur ou un fonds d’investissement de se projeter dans ce type de matériel, tant qu’on n’est pas personnellement concerné. »

L’une des difficultés vécues par Édouard Detrez, c’est qu’il fait 1,30m assis : « Forcément, le regard de l’interlocuteur est complètement différent. On rapproche aussi souvent le handicap et la maladie, moi je ne suis pas malade, je vais vivre jusqu’à 85 ans ! Quand on est en situation de handicap, et je ne suis pas le seul à penser ça, pour arriver au même résultat qu’un valide il va falloir souvent prouver plus, faire beaucoup plus pour arriver à égalité. »

Cette traversée s’est terminée les 24 et 25 janvier derniers par une série d’entretiens à Paris. « J’ai rencontré la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, reprend Édouard Detrez. Son conseiller Yanis Bacha est à même d’appuyer mon propos, il se déplace en fauteuil roulant. On a évoqué le Fauteuil Roulant Français, et l’accessibilité. J’ai également rencontré le président de l’Assemblée Nationale, François de Rugy, qui a chamboulé son emploi du temps pour me recevoir. Et le président du Sénat, Gérard Larcher, qui était en recherche active de solution pour poursuivre le Fauteuil Roulant Français. Il m’a remis la médaille du Sénat, j’en ai pleuré, on a eu une discussion sans distance. » Le lendemain 25 janvier, c’est la présidente du Conseil Régional Ile-de-France, Valérie Pécresse, qui a reçu Édouard Detrez : « On a parlé des Jeux Paralympiques de 2024 à Paris, pour que les athlètes français aient un matériel français. Elle souhaite défendre l’idée, aussi évoquée avec Sophie Cluzel qui doit en parler à la ministre des Sports, Laura Flessel. »

Et finalement, le rendez-vous espéré avec le Président de la République, Emmanuel Macron, a eu lieu dans la soirée : « Il m’a accueilli avec un ‘Bonjour Édouard’; pas monsieur Detrez, Édouard ! Il est rentré dans le vif du sujet, en demandant quel est le besoin d’investissement. Je lui ai expliqué le réinvestissement dans l’économie française de la subvention des personnes pour l’achat de fauteuils roulants. Emmanuel Macron souhaite que le savoir-faire français s’exporte, estime que concourir sur une marque française serait une très belle image. J’ai évoqué l’évolution vers une société inclusive. Et il a fait venir son conseiller à l’industrie en lui disant ‘Édouard a vendu beaucoup de fauteuils et il faut l’aider sinon c’est vous qui repartez en fauteuil à Lectoure ! »

Reçu par les plus hautes personnalités de l’État, le devenir du Fauteuil Roulant Français reste à construire. Édouard Detrez est dirigé vers la Banque Publique d’Investissement (BPI) pour obtenir le financement nécessaire au lancement de sa gamme de fauteuils. « Le but de cette traversée était d’avoir des discussions et un appui, conclut Édouard Detrez. On a besoin d’un renfort pour continuer de produire, 500.000 euros pour une vision à long terme. Et il nous faudrait un million d’euros pour industrialiser. » Une peccadille pour les 15 milliards du budget de la BPI. Les efforts d’Édouard seront-ils récompensés ?

Laurent Lejard, février 2018.

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