Mon mari et moi sommes tous deux en situation de handicap, tous les deux en fauteuil roulant. Nous vivons à domicile dans le Loiret. Depuis 2010, David est gérant d’une entreprise de courtage automobile. Il travaille depuis notre domicile, je le seconde pour les tâches administratives et la communication de la société. En parallèle, je m’investis beaucoup dans le domaine associatif. Avoir une vie sociale me semble primordial et m’apporte une bouffée d’oxygène dans un quotidien souvent pesant.

Tous les jours, nous dépendons de l’aide d’auxiliaires de vie pour la plupart des gestes essentiels du quotidien. Sans le passage, de ces dernières, nous serions tout bonnement bloqués dans notre lit. À l’annonce du confinement, nous n’étions pas particulièrement inquiets à l’idée de ne pas pouvoir sortir de chez nous. Nous nous sentions presque comme tout le monde, confinés au même titre que les personnes valides. Nous n’avions plus besoin de nous adapter à la société, puisque c’est la société elle-même qui devait s’adapter et se réinventer. Le confinement a d’ailleurs amené de nouvelles pratiques, conduit à une certaine forme d’équité. Alors que tout était fermé, une partie du monde est soudain devenue accessible sans effort. En effet, grâce à la mise en ligne d’activités culturelles et de loisirs, nous pouvons enfin aller au cinéma, au musée, sans demander de places spécifiques. De plus, il nous est également plus facile d’assister à des réunions. Là où nous devions nous organiser, réserver notre transport adapté, arriver 30 minutes avant le départ de notre train, décaler nos interventions d’aide à domicile, il nous suffit à présent de nous connecter en visioconférence.

Cependant, dès la première semaine de confinement nous avons pris conscience que ce dernier allait tout de même compliquer notre quotidien. Un matin, un des pneus de mon fauteuil a crevé et mon réparateur habituel n’a pas voulu se déplacer. J’ai perdu une demi-journée à en chercher un qui accepte d’intervenir. Par ailleurs, faire nos courses alimentaires de façon autonome a été compliqué. Nous nous sommes signalés à la cellule de crise de la mairie d’Orléans, mais cette dernière ne nous a jamais rappelé pour connaître nos besoins et prendre de nos nouvelles. Alors nous avons eu recours au système D et organisés avec nos aides à domicile. Nous ne sommes pas sortis, depuis le 17 mars dernier, mais en accueillant plusieurs fois par jour nos intervenantes, nous sommes potentiellement exposés au virus. Parce que les gestes barrières sont bien souvent mal appliqués.

En France, il faut savoir que tout le monde peut devenir assistant(e) de vie : si la formation est vivement conseillée, le diplôme, lui, n’est pas obligatoire. De plus, notre prestataire de services doit aussi gérer les arrêts maladies des salariés. Ces derniers temps, ils sont très nombreux et ne sont pas tous liés au covid-19. Les temps d’intervention au domicile sont donc réduits. Depuis plusieurs semaines, nous sommes passés de deux heures à une heure et quart de présence certains matins. Nous essayons de faire preuve d’indulgence, mais s’habituer sans cesse à de nouvelles personnes est épuisant. Nous pensions que la situation allait s’améliorer à partir du 11 mai, mais aujourd’hui encore, c’est loin d’être le cas. Et selon les dernières annonces gouvernementales, les auxiliaires de vie qui interviennent à domicile n’auront pas le droit à une prime similaire à celle qui sera versée aux personnels des établissements médico-sociaux pour avoir travaillé pendant le confinement [lire l’actualité du 7 mai 2020]. Nous craignons que cela engendre encore plus d’absences. Par ailleurs, il semblerait qu’aucun plan de déconfinement ne soit prévu pour les services de soins à domicile. Cela nous inquiète réellement, car ce secteur était déjà très fragile avant la crise sanitaire et cela risque d’aggraver la situation.

Selon nous, cette pandémie, a fait resurgir des dysfonctionnements latents. Dans notre pays, les politiques publiques sur le handicap ne prennent pas réellement en compte les besoins des personnes. C’est d’ailleurs pour cela que nous abordons la phase de déconfinement avec une certaine appréhension. Nos besoins spécifiques vont-ils être pris en considération dans la mise en place des mesures sanitaires ? Va-t-on pouvoir continuer à faire nos courses en sollicitant, le cas échéant, l’aide des commerçants ? Quelles vont être les nouvelles mesures prises par les services d’assistance de la SNCF ou des aéroports ? Toutes ces questions sans réponses risquent de nous compliquer davantage la vie, et plus largement remettre en cause l’inclusion des personnes en situation de handicap.

Aurélie Dechambre, mai 2020.

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