Un appareil discret derrière l’oreille, dissimulé sous une coupe au carré, une diction quasi parfaite, Isabelle passerait presque pour une entendante, s’il n’y avait ces personnes qui l’appellent par derrière ou ces situations difficiles de discussion de groupe, d’environnement bruyant… pour trahir sa malentendance. Fille unique de parents entendants, elle est aujourd’hui mariée à un entendant et mère de deux petites filles, elles aussi entendantes. « Durant mon adolescence, j’ai essayé de sortir avec des garçons sourds mais ça n’a jamais collé », lâche- t-elle. Sa déficience auditive découverte à l’âge de deux ans, Isabelle a suivi sa scolarité entre intégration dans des écoles classiques et enseignement dans des établissements spécialisés. Ce qui lui a permis de se confronter très tôt aux deux cultures, celle des sourds et celle des entendants, et d’acquérir deux langues, le français et la Langue des Signes Française.

Mais en fait, c’est à l’occasion des vacances d’été, qu’elle a passées en colonies de l’âge de 5 à 15 ans, qu’Isabelle a appris « la vie sociale » : les premières amitiés, les premières moqueries, les premières souffrances, les premières amours. « C’est aussi là que j’ai cultivé la pratique du sport, de la déconne et des quatre cents coups qui m’ont beaucoup servi par la suite », précise- t-elle. Et qui ont notamment séduit son futur mari. « Par contre, je n’ai découvert le monde des sourds, sa vie associative, ses fêtes, ses conférences qu’à 22 ans », indique- t-elle. « Aussi, aujourd’hui, même si dans la vie de tous les jours, au travail, en famille, en société, j’entretiens des relations quasi normales avec les gens, je ressens très régulièrement le besoin de retrouver la communauté sourde ».

Que ce soit face à des personnes sourdes ou entendantes, ses atouts séduction sont les mêmes : l’honnêteté (« je préviens tout de suite mon interlocuteur que je suis malentendante »), le naturel (« dans mon comportement, dans mon style vestimentaire »), la joie (« il est important d’être agréable, sociable, dynamique et d’avoir de l’humour, de savoir s’amuser »).

La LSF, belle et sensuelle… Tifany, sourde profonde, a suivi un enseignement spécialisé en internat. « A l’époque, pas facile, l’établissement n’était pas mixte et nous devions beaucoup puiser dans notre imagination et nos fantasmes pour nous représenter les garçons et l’amour ». Tifany parle très peu et préfère l’usage de la langue des signes, dans laquelle elle se sent naturelle et à son aise. « Avec les sourds, cela ne pose évidemment aucun problème, par contre avec les entendants, c’est beaucoup plus difficile. Il y a ceux qui m’abordent dans la rue et qui, lorsque je leur précise que je suis sourde, partent en courant, et puis il y a les autres, les curieux, qui me disent toujours qu’ils rêvent d’apprendre la LSF, qu’ils trouvent belle et sensuelle ».

C’est clair que Tifany en joue, ses mains évoluent dans l’air avec volupté et légèreté, tandis que ses yeux, autre arme fatale, fixent l’interlocuteur et que sa mâchoire ponctue chaque geste d’un sourire immaculé de blanc ou de toute autre mimique des plus expressives. « Il y a aussi la manière de s’habiller et de se maquiller. Beaucoup de gens pensent que les personnes handicapées, y compris les personnes sourdes, sont généralement mal habillées. Je ne vois pas pourquoi ! », s’emporte- t-elle. « Je ne cherche pas à être plus sexy que les autres femmes parce que je suis sourde, mais je réclame le droit d’être aussi sexy que n’importe qui ».

Quoi qu’il en soit, peu de garçons entendants devraient pouvoir profiter de ses charmes : « Même si c’est vrai que je les trouve plus doux, attentionnés et patients que les sourds dans leur manière de faire la cour, je ne me vois pas sortir avec un entendant, je ne crois pas que j’arriverais à la même intimité et, pour être honnête, je me sentirais un peu bloquée ». Lorsqu’elle est abordée par un homme, Tifany va droit au but et annonce tout de go sa surdité, ce qui lui vaut souvent des « oh, désolé, je ne savais pas », comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse, contagieuse et incurable, voire pire d’une mort annoncée. « Systématiquement, je me fais un plaisir de leur répondre que ce n’est pas grave, que ça ne s’attrape pas et de leur expliquer que l’on peut vivre, aimer, communiquer, s’amuser et b… tout à fait bien dans cet état ». A bon entendeur…

Emmanuel Benaben, décembre 2000.

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