Début des années 80, le mot « Sida » fait son apparition en France, suivi de son cortège funèbre de cas de séropositivité. A l’époque, l’on évoque le « cancer gay ». En 1984, la création de l’association Aides permet de médiatiser le virus et d’enclencher des campagnes de prévention. Les journaux, télés, radios et affiches informent la population. Mais voilà, on ne se soucie pas des sourds, en particulier gestuels, pour lesquels la communication entreprise s’avère totalement inadaptée. Un exemple, le picto censé illustrer le virus : pour ces personnes, très attachées au visuel et à l’image et un peu moins au texte, il représente un soleil comme pourrait le dessiner n’importe quel enfant. Les uns tentent d’interpréter ce symbole en voyant cette étoile comme l’un des transmetteurs possibles de la maladie. Les autres, plus crédules, s’arrêtent à sa symbolique positive pour ne pas chercher plus loin. « Nous avons connu des périodes de peur panique, de fantasme par rapport à ce virus », explique Michel Parde, sourd et aujourd’hui responsable d’un groupe Sourds de l’association Aides.

Et de rappeler, il y a à peine dix ans, le cauchemar d’un patient sourd confronté aux professionnels de la santé et la tragédie que fût le Sida pour de nombreuses personnes sourdes mal informées ou pas informées du tout sur ce virus mortel. « Lorsqu’un médecin ne connaissant pas la LSF remettait les résultats d’un test de dépistage à son patient sourd, sans autres explications, ce dernier voyant la mention « séropositif » pensait que cela voulait dire que sa santé était positive et repartait convaincu qu’il n’y avait pas de problème ! », témoigne Bruno Moncelle, sourd, pionnier dans cette lutte contre le Sida et fondateur de l’association Sourds en colère, qui a vu beaucoup de ses amis mourir de l’épidémie. Plusieurs centaines de sourds sont en effet devenus séropositifs sans rien savoir ni de cette maladie, ni des pratiques à risque, ni des mesures préventives à prendre. « Les pouvoirs publics sont coupables, ils ont abandonné plusieurs milliers de personnes livrées à un risque de contamination », s’emporte- t-il.

Accès aux soins en LSF. En pleine période d’épidémie du Sida, tout comme ils s’étaient mobilisés vingt ans plus tôt dans le domaine de l’éducation, les sourds et leurs associations se sont regroupés au sein d’un mouvement avec des entendants. « Grâce à cette lutte commune, les sourds ont osé aborder les questions de santé et plus particulièrement leur accès aux soins », explique Jean Dagron, pionnier en France de l’accès aux soins en LSF et responsable de l’unité spécifique créée à l’hôpital La Salpetrière à Paris. L’urgence et la gravité de la situation, associées à la pression associative et militante, ont en effet poussé le ministère de la Santé et l’Assistance publique des hôpitaux de Paris à proposer, à partir de 1995, dans un esprit expérimental, une consultation en langue des signes, et notamment des tests de dépistage, dans cet hôpital. Au cours des premières années, près de 500 personnes par an sont venues se faire dépister, chiffre qui stagne actuellement autour de 300. « La création de centres de dépistage en LSF permet de remédier au problème d’interprétation des résultats. Par le passé, les médecins exigeaient qu’un parent du patient assiste à la consultation médicale. Le sourd se trouvait alors dans une situation délicate où son intimité et ses pratiques sexuelles étaient révélées. La présence de médecins et d’infirmières signeurs dans un hôpital permet d’éviter cette grave atteinte au secret du diagnostic médical », explique Jean Dagron. « En outre, en réalisant le dépistage au sein d’un service de médecine générale, nous assurons ainsi la confidentialité des soins et l’anonymat des patients ».

La question du Sida a ainsi été à l’origine de la problématique plus générale de l’accès aux soins des sourds en France. Courant 2001, ces services de médecine générale, offrant un accueil et un accès aux soins en LSF et comprenant un centre de dépistage, devraient être étendus à plusieurs grandes villes de Province.

La prévention en urgence. En attendant, il reste encore beaucoup à faire au niveau de l’information et de la prévention, notamment auprès des jeunes. « Aujourd’hui, les estimations font état d’une centaine de cas de séropositivité parmi la population sourde, mais nous ne sommes pas à l’abri d’un risque de flambée soudaine », poursuit le docteur. « En effet, au niveau de ces communautés qui vivent sur elles- mêmes, il existe toujours des risques plus importants de propagation rapide de la maladie », poursuit- il.

Si l’on note actuellement un recul global de l’épidémie parmi la population entendante, cela n’est pas encore le cas pour les sourds, victimes d’un décalage qui les poursuit depuis le début des années 80 et qui est encore perceptible aujourd’hui. En effet, le phénomène de chute des campagnes de prévention et des messages de sensibilisation à l’égard des français, constaté depuis quelques années et récemment mis en avant par les associations comme Aides, touche encore plus profondément et dangereusement les sourds.

Emmanuel Benaben, janvier 2001


Pour en savoir plus : Aides Fédération Nationale, Tour Essor, 14 rue de Scandicci 93508 Pantin cedex. fax : 01 41 83 46 19. Web : www.aides.orgGroupes Sourds : Aides Paris, 52 rue du Fbg Poissonnière 75010 Paris; le jeudi de 16 à 19h, Minitel : 01 53 24 90 63; du mardi au vendredi sur rendez- vous de 10h à 19h : Minitel 01 53 24 12 06, fax 01 53 24 12 09. Email : sourdsaidesparis@minitel.net. Aides Bourgogne, 9 Bd Jeanne d’Arc 21000 Dijon (jeudi de 18 à 20h) minitel : 03 80 63 03 32, fax 03 80 63 03 03 email : aides.bourgogne@humanitaire.net. Aides Dauphiné- Savoie, 8 rue Sgt Bobillot 38000 Grenoble. Minitel et fax : 04 76 47 36 43, email : aidessourdsgrenoble@minitel.net. A chambéry : 10 rue de la Trésorerie 73000 Chambéry. Minitel et fax : 04 79 68 97 01. Aides Pays de l’Adour, 21 rue Victor Hugo BP 8457, 64100 Bayonne. Email : aidespadour@wanadoo.fr. Centre Promotion des personnes sourdes (interprètes + volontaires) fax : 05 59 52 49 09. Aides Pays de Loire Nord, 46 rue de Strasbourg 44000 Nantes. Lundi et mercredi de 18h à 20h; jeudi de 19h à 21h, Minitel : 02 40 89 25 02, fax 02 40 47 84 66. Aides Lorraine Sud, 3 rue de Château Salins 54000 Nancy. Du lundi au vendredi de 9h à 18h. Fax : 03 83 32 01 97, email : aides.lorraine-sud@wanadoo.fr. Aides Lyon- Rhône- Ain, 93 rue Racine 69100 Villeurbanne. 2e et 4e vendredi de chaque mois de 18h 30 à 20h. Minitel : 04 78 68 71 61, fax 04 78 68 74 34, email : groupesourdsaideslyon@minitel.net. Aides Midi- Pyrennées, 122 rue du Général Bourbaki 31200 Toulouse. Le mardi à partir de 20h 30. Minitel : 05 34 40 22 76, fax 05 34 40 22 61, email : sourdsaidestoulouse@minitel.net. Aides Nord- Pas de Calais, 109 rue de Molinel 59800 Lille. Le mardi de 17h 30 à 19h. Fax : 03 28 52 05 11.

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