Ambre et Arno évoluent depuis trois albums. Depuis quatre ans, cette jeune femme et son pêcheur marseillais de compagnon apprennent à communiquer et à se connaître. Elle est sourde de naissance, sa surdité est transmise génétiquement depuis quatre générations, elle a une culture exclusivement sourde, n’a aucune idée pratique de la notion d’entendant et va apprendre à accepter le monde des entendants. Il est entendant, n’a jamais été confronté au monde des sourds et suite à sa rencontre avec Ambre, il va découvrir ce monde et la Langue des signes française. Au fil des épisodes, ils sont devenus intimes et leurs aventures mettent en avant les lacunes de la société à l’égard des sourds.

C’est en utilisant ces bandes dessinées comme support que l’association Le Verseau (lire cet article que nous lui consacrions en mars 2002) mène un intéressant travail de sensibilisation en direction d’élèves d’établissements scolaires provençaux : 300 d’entre eux, sur Marseille et alentours, sont ciblés. Les objectifs recherchés sont d’améliorer la communication entre sourds et entendants, de favoriser l’intégration du sourd dans sa ville et son environnement. Il s’agit également de faciliter l’accès au français écrit des nouvelles générations de sourds et de sensibiliser les jeunes entendants au monde des sourds et à la langue des signes.

Les interventions sont réalisées par un animateur sourd et une interprète en Langue des Signes Française qui dialoguent avec les élèves et leurs professeurs. Avec des résultats disparates…

Dans une classe d’intégration de CM1- CM2, avec huit élèves sourds, l’arrivée d’un adulte sourd dans la classe étonne les enfants, et surtout ceux de parents entendants qui sont persuadés qu’ils guériront de leur surdité à l’âge adulte : « Toi aussi tu es sourd ? Alors quand je serai grand, je ne deviendrai pas entendant ? ». Faute d’ouvrages adaptés, l’institutrice travaille souvent sur des petits livrets en langue des signes qu’elle réalise elle-même pour sa classe. Elle connaissait et avait fait découvrir à ses élèves les deux premiers épisodes de la BD.

La visite de l’équipe du Verseau dans un institut spécialisé de Marseille, auprès d’élèves de la 6e à la 3e, était très attendue. Les élèves sourds rencontrent au sein de leur établissement très peu d’adultes sourds. La plupart pratiquant la Langue des Signes Française, l’intervention s’est davantage orientée vers un cours de LSF. Les élèves ont profité de cet échange pour poser des questions sur la syntaxe : dans cet établissement, en effet, les cours de LSF sont rares. Les élèves développent leur propre gestuelle et système de codification qui, la plupart du temps, se rapporte au français signé (un signe pour un mot, traduction au mot à mot). Ils ont très peu de notion de la Langue des signes académique avec sa grammaire, sa richesse de vocabulaire, etc. Ravis, les enfants n’ont pu s’empêcher de dire à l’animateur : « Tu reviens quand ? », « Ah bon, c’est une fois pour toutes ? » Ça donne à réfléchir…

Dans une classe d’intégration de 5e d’un collège de Marseille, un sourd intégré et sept autres sourds ont exceptionnellement rejoint la classe d’entendants. Habituellement, ils sont au sein d’une classe spécialisée pour les cours et côtoient les autres élèves entendants seulement à la recréation. Aucun élève, ni sourd, ni entendant, ne connaît la BD. Dans la classe, ce jour- là, les sourds se regroupent entre eux, aux premiers rangs, et les entendants au fond de la classe. Il a fallu travailler sur l’échange et la communication. Progressivement, les questions des entendants sur le quotidien des sourds sont nombreuses : « Comment le sourd fait- il pour téléphoner ? Et pour se réveiller le matin ? Comment on fait pour appeler un sourd, puisqu’il ne nous entend pas ? » etc. Et tout naturellement, ce sont les élèves sourds qui se lèvent, passent au tableau et répondent en langue des signes aux entendants… grâce à la présence de l’interprète. Les enfants sourds sont heureux, on s’intéresse à eux, ils sont un peu honteux de montrer leurs signes au début mais très vite leur gêne se dissipe face à leurs camarades entendants et la communication passe. La BD est distribuée à la fin de l’intervention, histoire de repenser à tout ça, calmement, chez soi.

D’autres interventions similaires auront lieu d’ici à la fin de l’année scolaire et à la rentrée de septembre. Elles alimenteront peut- être l’intrigue des prochaines aventures d’Ambre et Arno…

CN, mai 2002.

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