Le silence fait partie de la Règle qui régit certains ordres monastiques. Celle de Saint- Benoît fût créée au début du VIe siècle, et réformée par Bernard de Cluny au XIe siècle : elle réservait l’usage de la parole aux offices religieux, à la célébration de Dieu. Les échanges nécessaires à la vie communautaire se faisaient, pour respecter la règle du silence, par gestes. Ceux- ci ont immédiatement été codifiés et répertoriés, les listes les plus anciennes qui nous sont parvenues datent de l’époque de la réforme clunisienne et de la fondation de l’abbaye qui devint la grande rivale de Cluny, Cîteaux (Côte d’Or). Dans ces temps éloignés, les ordres monastiques se livraient alors une véritable compétition pour attirer à eux de nouveaux adeptes, capter des biens matériels, assurer leur pouvoir sur les êtres et les âmes.

Signes et langue.
 Les moines de Cîteaux utilisaient des signes pour tout ce qui touchait aux activités de la vie courante. Leur combinaison permettait de tenir de grandes conversations; aux signes codifiés s’en ajoutaient d’autres, issus de l’imagination des religieux et correspondant à des situations particulières. Leur base commune permettait à la communauté des moines cisterciens de pouvoir communiquer quel que soit leur pays d’origine, les signes formant alors une langue universelle. Le trop méconnu « Gestes des moines, regard des sourds », par Aude de Saint- Loup, Yves Delaporte et Marc Renard, paru en 1997 aux éditions Siloë, présente en outre un répertoire des signes employés par les moines et établit des comparaisons entre le vocabulaire de la LSF et de la LSM.

D’autres personnes utilisent des signes pour s’exprimer, généralement dans un contexte professionnel: courtiers de bourse, plongeurs, manoeuvriers d’aéroport, arbitres sportifs… Les gestes qu’ils utilisent correspondent à des actions précises (« j’achète », « tout va bien », « à gauche », « coup franc ») mais ne forment pas une langue: le vocabulaire se réduit à un usage spécialisé, la combinaison des signes ne permet pas de tenir une conversation.


LSM et Langue des Sourds.
 Il n’est pas établi que la première structuration de la langue des signes employée par les sourds, réalisée par l’Abbé de l’Epée durant le XVIIIe siècle, ait bénéficié d’un apport et de l’expérience de la Langue des Signes Monastiques pratiquée par les moines cisterciens. Des correspondances sont toutefois relevées par des auteurs qui ont conduit des études comparatives.

La langue des sourds a été universelle jusqu’au congrès de Milan (1880): le pratiquant français était compris par les sourds anglais ou allemands utilisant la même langue des signes. L’interdiction prononcée à Milan a forcé les sourds gestuels à la clandestinité et appauvri une langue qui n’a survécu qu’au prix de nombreuses altérations et évolutions, son caractère universel étant aujourd’hui amoindri : si de grandes similitudes demeurent, les vocabulaires comportent des différences importantes.

Les langues des signes bénéficient actuellement d’un regain d’intérêt, allant bien au- delà de la communauté des sourds. Elles ont notamment l’attrait des langues minoritaires. Elles ont également une histoire riche, et dont les fondements sont bien plus forts que l’on pourrait le penser de prime abord. Et ce ne sont pas les moines qui vous signeront le contraire !

Jacques Vernes, juin 2002.

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