Deux films tournés en 2001 mettent en scène la vie et les démêlés sentimentaux d’une jeune femme sourde. Si les contextes sont différents, « Sur mes lèvres » et « Amour secret » ont un point commun : les deux héroïnes trouvent l’amour dans les bras d’un voleur. Nous avons présenté ces deux long- métrages en version sous- titrée (dont le premier est actuellement diffusé sur Canal Plus et le second doit sortir en salle en France dans le courant du mois d’avril) à un groupe de cinéphiles sourds.

Amour secret (Stille Liebe) nous emmène dans les environs de Zurich (Suisse). Antonia (Emmanuelle Laborit) est une jeune religieuse sourde, qui travaille le jour dans une mission et rentre le soir au couvent. Elle croise un sourd originaire de Lituanie, Mikas (Lars Otterstedt), qui vole des portefeuilles en compagnie d’un complice qui se fait arrêter. La religieuse tombe amoureuse du pickpocket, qui meurt noyé alors qu’il tente d’échapper à la police, elle défroque et part aux USA travailler pour l’Université des sourds de Gallaudet. « C’est une jolie histoire, estime Fred, sentimentale, avec parfois des longueurs. L’idée est originale, on y trouve l’Ange et le Diable. Ce qui me fait du bien, c’est de voir à l’écran des personnages qui utilisent la langue des signes ».

Laurent relève que les parents d’Antonia sont comme bloqués par la surdité de leur fille: « elle n’avait peut- être pas envie de devenir religieuse et de recevoir des ordres à longueur de journée. Elle trouve son identité en rencontrant un sourd : assister à une représentation de théâtre en langue des signes est pour elle un véritable révélateur ». L’emploi, pour les deux rôles principaux, d’acteurs sourds est très apprécié, le jeu et l’expression sonnent juste. Ce qui l’est moins, c’est la facilité d’accès à l’Université Gallaudet. « Il faut à un étranger une équivalence de diplôme, maîtriser la langue des signes américaine, pouvoir payer des frais d’études élevés » précise Jean- Pierre qui conteste la représentation des sourds dans ce film : « Ils sont pauvres, isolés, c’est un appel à la pitié ». Quentin confirme ironiquement cette impression du « sourd forcément malheureux; on risque d’être interpellé par des gens dans la rue qui nous demanderont ce que fuit le pauvre sourd » !

L’action de Sur mes lèvres se déroule en région parisienne. Carla (Emmanuelle Devos, actrice entendante), sourde oralisée et appareillée, est une secrétaire dévouée, jonglant avec les dossiers et le téléphone. Surmenée, elle recrute un assistant entendant, Paul (Vincent Cassel), voleur tout juste sorti de prison. Carla lit très bien sur les lèvres, même de loin, elle va aider Paul à régler une dette « mafieuse » en mettant la main sur le magot d’un malfrat. « Ce qui m’interroge, c’est la lecture labiale que l’on nous montre ici, avec des jumelles, dans la pénombre, de profil, ce n’est pas crédible » estime Quentin qui qualifie Carla de « femme qui valait trois milliards de chez nous »! Autre idée du scénario propre à semer la confusion dans l’esprit du spectateur: Carla, sourde profonde, parle parfaitement, entend très bien même sa grande copine qui mâche les mots, répond à toutes sortes de téléphone tout en réglant d’un doigt sa prothèse auditive…

« C’est une pub extraordinaire pour les audioprothésistes! » s’exclame Quentin. Comme lui, les autres spectateurs sourds estiment que le personnage n’est pas crédible, percevant même une connotation raciste dans ce film. « Lorsque que Carla se fait aborder par un jeune sourd, poursuit Quentin, elle lui dit en langue des signes de partir, elle le rejette alors qu’il lui rappelle qu’ils se sont connus au collège d’Asnières. C’est la seule scène dans laquelle elle s’exprime en LSF ». Fred s’étonne d’ailleurs du sous- titrage incomplet qui ne permet pas aux entendants de percevoir ce rejet, et s’inquiète de l’image que véhicule le film : « la sourde oralisée est une secrétaire dévouée et débrouillarde, le sourd signeur vend des gadgets à la terrasse d’un bistro, c’est un mendiant ». Quentin est très touché par ce contraste : « qu’est- ce qui va rester dans la tête des spectateurs ? J’aimerais enfin voir un film positif avec des sourds intégrés. Les sourdes ne sont- elles bonnes qu’à vivre avec des voleurs ? »

Laurent Lejard, février 2003

Sur mes lèvres, film français réalisé en 2001 par Jacques Audiard. Avec Vincent Cassel (Paul Angeli), Emmanuelle Devos (Carla Bhem), Olivier Gourmet (Marchand), Serge Boutleroff (Mammouth), Olivier Perrier (Masson), Olivia Bonamy (Annie), Bernard Alane (Morel).

Amour secret, film suisse réalisé par Christoph Schaub en 2001. Avec Emmanuelle Laborit Antonia), Lars Otterstedt (Mikas), Renate Becker (Verena), Wolfram Berger (Fritz). Sortie en salles prévue en avril 2003.

Nous adressons nos remerciements à l’association Le Verseau (Marseille) et à ses cinéphiles pour leur aimable participation, à Canal Plus, qui nous a fourni une copie avec sous-titrage sourds et malentendants de Sur mes lèvres, et à T&C Films, qui nous a adressé une copie sous- titrée en français de la version allemande d’Amour secret (Still liebe).

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