Louis Laurent Marie Clerc est né le 26 décembre 1785 à La Balme les Grottes (Isère) dans une famille de notables. Sa mère était fille de magistrat, son père, juge de paix, occupait également la fonction de maire du village. Alors qu’il était âgé d’environ un an, le petit Laurent fit une chute dans l’âtre de la cuisine. Gravement brûlé à la face, on découvrit bientôt que son ouïe et son odorat avaient été atteints sans toutefois réussir à déterminer si ce handicap était consécutif à l’accident ou d’origine congénitale. Son nom, en langue des signes (index et majeur brossant la joue droite jusqu’à la commissure des lèvres) provient de la cicatrice au visage qu’il conserva toute sa vie.

Ses parents tentèrent vainement divers traitements pour restaurer son audition et, durant les onze années qui suivirent, il resta à la maison, explorant le village et participant à des travaux fermiers sans recevoir la moindre éducation ni réellement apprendre à communiquer. En 1797, son oncle et parrain l’inscrivit enfin à l’Institut National des Jeunes Sourds- Muets (devenu depuis l’I.N.J.S) que l’Abbé de l’Epée (1712 – 1789) avait fondé à Paris, et qui était alors dirigée par l’Abbé Roch- Ambroise Sicard (académicien, 1742- 1822). Jean Massieu (1772- 1846), le premier enseignant de Laurent, devint très vite son mentor et ami.

Bien qu’excellant dans les études, le jeune élève rencontrait beaucoup de difficultés à l’oral. Un coup violent porté par un professeur à bout de patience lui fit se jurer de ne jamais plus tenter de parler. Plus tard, cette expérience devait le conforter dans l’idée que la langue des signes était le support par excellence de l’enseignement aux élèves sourds. Il apprit à dessiner et à utiliser l’imprimerie de l’Institut. En 1806, à peine neuf ans après son arrivée, il y devint enseignant.

Au retour de Napoléon en mars 1815, Sicard invita Massieu et Clerc à le suivre à Londres où ils firent de nombreuses démonstrations de leurs méthodes pédagogiques. Le Pasteur américain d’origine huguenote Thomas Hopkins Gallaudet, de Hartford (Connecticut) assista à l’une d’entre elles. En Amérique, Gallaudet avait alors pour voisin et ami le docteur Mason Fitch Cogswell que la surdité de sa fille avait conduit à s’intéresser à l’éducation des sourds. Il n’existait encore aucune école de ce genre aux États- Unis. Les deux hommes obtinrent le soutien de leurs concitoyens les plus fortunés et c’est ainsi que Gallaudet, qui avait lu la Théorie des Signes de Sicard, traversa l’Atlantique dans le but de se renseigner sur les méthodes d’apprentissage en vigueur en Europe. D’où sa présence à la démonstration des Français, lesquels l’invitèrent à leur rendre visite à Paris où Laurent Clerc le fit bénéficier de cours particuliers.

Enthousiasmé, Gallaudet demanda à celui qu’il appelait son « master teacher » de l’accompagner aux U.S.A afin d’y fonder une école pour les sourds. Après d’âpres discussions avec les collègues et la famille du jeune professeur, la grande traversée se fit en juin 1816. Clerc, officiellement « prêté » par Sicard pour une durée de trois ans, profita du voyage (plus de 50 jours à l’époque) pour apprendre la langue des signes à son hôte, lequel l’aida en retour à se perfectionner en Anglais.

Installés à Hartford, Clerc, Gallaudet et Cogswell firent quelques conférences à Boston, New York, Philadelphie et dans le New Jersey pour présenter leurs méthodes d’apprentissage et obtenir le soutien du public et des institutions. En janvier 1818, Clerc fut même le premier sourd à s’adresser au Congrès des États- Unis. Le succès, notamment financier, fut à la hauteur des espérances : en 1821, l’American Asylum for the Education and Instruction of the Deaf and Dumb (rebaptisé depuis American School for the Deaf) voyait le jour à Hartford après trois ans passés dans des locaux loués. Gallaudet en assura la direction; Clerc, qui avait entretemps épousé l’une de ses élèves, dirigeait les professeurs.

Laurent Clerc enseignait en Langue des Signes Française. Ses élèves y ajoutèrent des termes issus de l’Anglais. Ces ajouts évoluèrent pour former la Langue des Signes Américaine (A.S.L) telle qu’elle est utilisée aujourd’hui. Il en résulte que l’A.S.L. contient environ deux tiers de signes issus de la L.S.F.

Laurent Clerc ne retourna dans son pays natal qu’à trois reprises : en 1820, après la naissance du premier de ses six enfants, en 1835 et en 1846. Il forma des générations d’enseignants, aidant au développement d’institutions spécialisées dans tous les États- Unis et jusqu’au Québec (Canada). Il prit sa retraite en 1858, âgé de 73 ans. En 1864, il fut invité d’honneur à l’inauguration de la fameuse Université Gallaudet de Washington D.C. Il mourut le 18 juillet 1869, à l’âge de 84 ans, et repose depuis au cimetière Spring Grove de Hartford. Sa tombe à fait l’objet d’une campagne nationale de restauration entre 1992 et 1998.

Jacques Vernes, septembre 2003.

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