Depuis la promulgation de la loi d’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les aides à la scolarité des jeunes sourds sont de la responsabilité de l’Education Nationale, si l’on comprend bien le sens de l’article 6 : « Dans l’éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue, langue des signes et langue française, et une communication en langue française est de droit. Un décret en Conseil d’Etat fixe, d’une part, les conditions d’exercice de ce choix pour les jeunes sourds et leurs familles, d’autre part, les dispositions à prendre par les établissements et services où est assurée l’éducation des jeunes sourds pour garantir l’application de ce choix ». Actuellement, une partie des aides nécessaires à la poursuite d’études supérieures est financée par le Fonds d’insertion professionnelle des personnes handicapées géré par l’Agefiph. L’association avait voulu, il y a une dizaine d’années, contribuer à favoriser la poursuite d’études par des bacheliers handicapés, ce qu’aucun organisme ne faisait alors. Actuellement, le Fonds consacre près de 4 millions d’euros à ces aides. Pour les étudiants sourds, elles consistent essentiellement en des aides humaines spécialisées : preneurs de notes de cours, interfaces et interprètes en langue des signes, codeurs en langage parlé complété.
Alors que la nouvelle loi venait d’être adoptée par le Parlement, le Conseil d’Administration de l’Agefiph a décidé de ne plus financer les aides aux études. « Il est vrai que l’Agefiph est confrontée à une situation financière qui l’oblige à restreindre ses interventions », précise Claudie Buisson, Directrice Générale de l’Association. La trésorerie florissante de l’Agefiph, naguère considérable, a fondu : un programme exceptionnel, voulu par l’Etat, a consommé le plus gros du « trésor de guerre » et les engagements de dépenses ont été supérieurs durant plusieurs années aux sommes versées par les entreprises n’atteignant pas le quota d’emploi. En ce début 2005, l’organisme ne disposerait plus que d’une trésorerie assurant trois mois de fonctionnement. « Nous voulons recentrer nos actions sur notre mission, poursuit Claudie Buisson, l’insertion professionnelle en entreprise. Mais nous n’allons pas couper les aides aux étudiants. On va se poser la question, pour la rentrée 2005, en fonction des moyens dont disposera l’Education Nationale ». L’Association a saisi le Ministère de l’éducation nationale, la Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées et le Délégué interministériel aux personnes handicapées, et agit en collaboration avec l’Union nationale pour l’insertion sociale du déficient auditif (Unisda). « Il y a un vrai problème de calendrier, ajoute Claudie Buisson. La mise en oeuvre de la prestation compensation est complexe, et il manque un dispositif d’évaluation des besoins des personnes sourdes. Nous ne voulons pas laisser tomber les étudiants, mais nous souhaitons que la loi soit appliquée ».
Des propos qui laissent perplexe Michel Gargam, directeur de l’Union Régionale des Associations de Parents D’enfants Déficients Auditifs (Urapeda) de Bretagne : « Dans les régions, les délégués de l’Agefiph nous disent que les étudiants pris en charge continueront à l’être, mais qu’il n’y aura pas de nouveaux bénéficiaires. Ces informations sont verbales, nous n’avons pas reçu de réponse aux courriers que nous avons adressé aux ministres concernés. Sur le terrain, nos interlocuteurs de l’Administration de l’éducation nationale et les Universités nous répondent qu’ils n’ont pas les moyens de financer les aides aux études. Dans les collectivités territoriales, on nous dit que ce n’est pas de leur compétence. On demande un moratoire dans l’attente de la mise en oeuvre d’un nouveau dispositif. » Cette demande est soutenue par l’Unapeda. Saisi en février, le Ministère de l’éducation nationale étudie la situation. Officieusement, il précise qu’une réponse est encore prématurée. Mais on peut penser que la solution ne résidera pas forcément dans le déploiement des futurs Auxiliaires de Vie Universitaire (A.V.U) : ils seront généralistes, ce qui ne les qualifiera pas pour assurer aux étudiants sourds le respect de la liberté de choix de leur mode de communication quand ils opteront pour le langage parlé complété ou la langue des signes. Sauf à écorner la loi. Reste à savoir si la prestation compensation prendra en charge l’intervention de codeurs L.P.C ou d’interprètes L.S.F dans le cadre des études. « On ne sait pas si les sourds auront droit à compensation, commente Michel Gargam, et ce qu’il sera en pratique ».
Ces incertitudes, qui vont être levées dans les prochains mois lors de la mise oeuvre de la loi, ne seraient pas dramatiques si elles ne mettaient en péril l’orientation des futurs bacheliers : c’est dès ce printemps qu’ils doivent effectuer leur pré-inscription. Sans savoir s’ils pourront suivre correctement les cours. Une angoisse que vivent également les étudiants sourds. Voilà une hypothèque à lever d’urgence.
Laurent Lejard, mars 2005.