Patrice Gicquel a rencontré Robert Mathé il y a une dizaine d’années, et c’est progressivement, intimidé par la carrière et la vie hors du commun de ce sportif sourd, que le journaliste a conduit son projet d’interview publié au début du printemps dans « Le fabuleux destin de Robert Mathé. Révélations sur un sportif sourd » (L’Harmattan). Robert Mathé est un retraité octogénaire encore actif malgré quelques soucis de santé. Ses premiers contacts avec le sport professionnel, il les vit dans le cyclisme, comme suiveur, un peu contre la volonté familiale : à 17 ans, il s’était introduit dans la caravane du Tour de France et en avait suivi quelques étapes. La sympathie naturelle qu’il inspirait constituait une compensation de sa surdité. A la même période, il s’initia à la boxe et mena une carrière amateur jusqu’à l’âge de 20 ans. La dureté des combats semble l’avoir dissuadé de persister; c’est au bord des rings qu’il continuera à assouvir sa passion, comme entraîneur et masseur. De grands noms sont passé entre ses mains : Max Cohen, Jean- Claude Bouttier, Carlos Monzon. Et deux boxeurs sourds, l’espagnol José Hernandez et l’italien Mario D’Agata. Dans le monde de la boxe, sa surdité ne fut pas un obstacle : « Je communiquais tant que je pouvais, soit par gestes, soit par la parole ».
Alors que la Seconde Guerre mondiale était déclarée, Robert Mathé inventa et commercialisa les premiers protège- dents; il avait la hantise de perdre ses dents lors d’un combat, et mettait ainsi à profit une formation de prothésiste- dentaire. Les boxeurs, ils les servit également en étant chauffeur de Georges Carpentier, ou garde du corps d’un Jean- Paul Belmondo rangé des gants de boxe mais poursuivi par les photographes alors qu’il avait une liaison avec l’actrice Laura Antonnelli ! Robert Mathé pratiqua la course à pied, sur toutes distances sauf le marathon; au sein des compétitions réservées aux sourds, il remporta de multiples victoires et trophées dans les épreuves nationales. Mais en se laissant un peut trop aller aux vivacités de la jeunesse lors des Jeux Olympiques des Sourds de 1939 (« Je me souviens surtout des belles suédoises. Je faisais des nuits blanches ! »), il sera exclu à vie des sélections françaises dans les compétitions internationales par la Fédération Sportive des Sourds- Muets de France.
Robert Mathé aurait probablement aimé concourir dans le vélo, mais il fut interdit de compétition du fait de sa surdité. C’est en solitaire ou entre amis qu’il pédalait sur sa Petite Reine, sur piste ou route…
Chez les sourds, la quasi-absence de pratiquants de bon niveau rendait la compétition sans intérêt : lors du championnat de France 1942, il était l’un des deux engagés sur route, gagna alors que le second et dernier arrivait… vingt minutes plus tard ! Sur pistes, on l’obligeait à porter un maillot rouge signalant aux autres sa surdité. Cela lui permis néanmoins de côtoyer de grands champions comme Lapébie, Louis Caput, André alias « Dédé » Pousse, qui n’était pas encore acteur de cinéma.
Après guerre, Robert Mathé s’initia à la pongée puis participa à des compétitions, allant jusqu’à une troisième place lors d’un championnat d’Europe de pêche sous- marine. Depuis sa retraite, il a fait renaître et continue à aider un club de boxe proche de sa résidence, le Boxing Club de Bayeux (Calavados). Et s’est intéressé aux sports mécaniques, assurant la préparation physique du motard Jacky Vimond puis d’une équipe lors de 24 heures du Mans auto. Le sport n’a pas fait vivre un Robert Mathé qui occupa plusieurs métiers, ambulancier, reporter- photographe pour le quotidien sportif L’Equipe, ouvrier chez un constructeur d’avions… Mais il lui a procuré un grand plaisir de vivre qu’il peut enfin communiquer à ses lecteurs !
Jacques Vernes, mai 2005
Patrice Gicquel est également l’auteur de Un siècle de vélo au pays des sourds, paru en 2002 chez L’Harmattan.