Comment et pourquoi faire acquérir aux enfants sourds une éducation bilingue langue des signes française et français (écrit et oral) ? Tel est le sujet présenté dans un film documentaire réalisé par l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (Ex-CNEFEI).
Si les signes sont la langue naturelle des enfants nés sourds, le français s’impose à eux, d’abord à l’école, puis dans la vie sociale et professionnelle. Et le corps médical pèse de tout son poids, comme en témoignent des parents : « Au niveau médical, on nous a dit surtout pas de signes ! », « On m’a expliqué des choses qui étaient aberrantes du genre si [ma fille] signe c’est vraiment une catastrophe au niveau du cerveau, ça va faire une atrophie des zones du langage ! ». Deux parents sourds évoquent leur éducation oraliste; le père avoue son désarroi à la naissance du premier enfant : pour lui, les signes étaient réservés aux personnes qui ne pouvaient parler. Les parents cherchent des solutions éducatives, se tournent vers la L.S.F. Par exemple en confiant leur enfant à une nourrice sourde, ce qui lui fait acquérir le langage très tôt, à trois ans. Globalement, les parents entendants qui s’expriment dans le documentaire constatent une grande facilité d’apprentissage des signes chez leurs enfants, et ils préfèrent apprendre la L.S.F plutôt que de forcer leur progéniture à l’oralisation. De leur côté, les parents sourds expliquent leur rencontre avec une école spécialisée, l’Institut de Recherche sur les Implications de la langue des Signes (Iris) : « On a tout compris, on a vu que les enfants comprenaient tout le cours, que c’était visuel, que tout était adapté. C’était une découverte pour nous et on a été tout de suite convaincus ! ». Iris a créé des classes en langue des signes à Ramonville Saint-Agne (Haute-Garonne) qui assurent en langue des signes le programme d’enseignement ordinaire de maternelle et primaire.
Dans ce cadre, une classe maternelle intègre des enfants sourds dans certaines activités et les petits entendants participent à des cours de langues des signes; les sourds partagent leur savoir avec les entendants. L’enseignante de la classe d’entendants a appris progressivement la langue des signes, pour préparer et suivre les activités; elle précise que les parents d’élèves entendants sont fiers que leurs petits apprennent une langue qui les ouvre à la différence. Dans le cycle primaire, les enfants se côtoient en-dehors des cours, et ont des activités communes. La langue des signes est la langue de transmission orale de l’enseignement, le français étant utilisé pour l’écrit, l’objectif étant que les enfants soient parfaitement bilingues. Jusqu’au Cours Préparatoire, les élèves abordent un texte en L.S.F avant de le lire : ils l’étudient en signes avec une enseignante spécialisée puis passent en cours de français pour mettre des mots sur les actions qu’ils ont identifiées et qui figurent dans le texte.
« Au départ, c’est intuitif, précise Marie-Paule Kellerhals, enseignante en français et mathématiques. Petit à petit, ils finissent par pouvoir expliquer comment ils repèrent les mots ». L’enseignement utilise des livres illustrés, d’abord étudiés par l’image; les enfants repèrent les lieux, l’action, s’en imprègnent en signes. Puis le livre est repris en cours de français, l’enseignante demande aux élèves de se rappeler ce qu’ils ont étudié en L.S.F; ils doivent repérer dans le texte les actions, les personnages, du vocabulaire, ils cherchent des indices à partir de ce qu’ils connaissent de l’histoire.
A partir du Cours Elémentaire, la démarche est inverse. « On commence directement par le texte, on y prend des repères, on imagine, on y trouve le sens et ensuite seulement on passe à la L.S.F, on travaille l’expression, la forme, le dialogue, l’expression, les emplacements ». La séquence d’analyse du conte Blanche-Neige, par exemple, est éclairante : les enfants ont du mal à identifier l’héroïne (un objet, un personnage ?) et prennent les sept nains pour des clowns. « Pour eux, l’écrit est un outil d’autonomie. Cela se construit dès le C.P ». Les enfants doivent comprendre les diverses dimensions de la langue française, différente à l’écrit et à l’oral. L’élève construit une culture de l’oralité par la présentation simultanée de la forme écrite et orale du français.
Ce qui conduit au sujet délicat de l’oralisation : pour Iris, elle est de la compétence des médecins et n’entre pas dans le cadre éducatif. Claire Médion, orthophoniste, s’appuie sur la L.S.F lors de l’apprentissage du français parlé, « pour expliquer, pour comparer, pour communiquer, parce qu’on a aussi besoin de se raconter des choses ». La L.S.F sert également d’outil pour expliquer l’articulation, la phonétique. Les parents interrogés ont constaté que leurs enfants avaient envie d’apprendre et progressaient aussi vite que les autres. Pour eux, la classe bilingue assure une facilité de compréhension et de communication dans un sentiment de sécurité propice aux apprentissages. Sans peur du monde des entendants. Et de regretter qu’il n’y en ait pas davantage en France…
Laurent Lejard, février 2006.
Une scolarité bilingue LSF-Français en cycle 1 et 2, un autre regard sur l’enfant sourd. V.H.S sous-titrée et en langue des signes françaises, 25 minutes. Disponible auprès du Cnefei, 15€.