Depuis la fermeture en 2006 de l’unique centre relais de communication téléphonique pour les sourds, qui a fonctionné à Paris durant 24 ans, ce dossier brûlant est au point mort : la création d’un service national de téléphonie adapté aux sourds et aux malentendants a été renvoyée aux travaux d’un groupe de suivi de la mise en oeuvre de la loi d’égalité des droits et des chances des personnes handicapées, sans qu’une concrétisation soit en vue à brève échéance. Cette loi du 11 février 2005 a pourtant instauré une obligation de mise en accessibilité des services de communication, mais aucun texte d’application n’a été élaboré. Dans le même temps, plusieurs expérimentations ont été lancées pour tester des procédés et évaluer le besoin de télécommunication des sourds.
Les premières ont été réalisées par la société Viable, filiale française (dirigée par l’artiste sourde Fanny Corderoy du Tiers) d’une compagnie américaine qui gère des centres relais aux U.S.A. « En 2006 et 2007, nous avons réalisé trois expérimentations, précise Tom Hillyard, assistant technique. Au total, c’est près de 400 utilisateurs qui ont essayé notre centre relais durant 30 à 45 jours. À la fin de la dernière expérimentation, les deux interprètes travaillaient tout le temps ». WebSourd a, pour sa part, lancé son expérimentation à la mi-février 2008 : elle concernera une centaine d’utilisateurs, individuels et associations, durant une année entière, pour un coût global d’environ 300.000€ financés en quasi-totalité par des fondations d’entreprise. « L’utilisation du service sera gratuite pour l’usager, explique François Goudenove, directeur de WebSourd, il n’aura à sa charge que le coût de la communication téléphonique ».
Le panel d’utilisateurs est réparti sur l’ensemble du territoire français, avec un pôle important sur Toulouse et sa région. Il est composé de sourds signants ou non, de malentendants, de personnes habiles en informatique ou pas. Plusieurs matériels téléphoniques sont employés : visiophone sur ligne fixe, mobile, téléphonie par ordinateur, boîtier interface sur téléviseur. Dans tous les cas, l’usager doit employer une liaison ADSL ou haut débit sur téléphone mobile. Les conversations sont interprétables en langue des signes française mais pas encore en langage parlé complété, faute de partenaire technique. La transcription textuelle est effectuée par vélotypie à destination des personnes qui ne pratiquent pas la langue des signes. L’enjeu de l’expérience est d’évaluer le fonctionnement d’un système de centre relais 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour estimer le besoin réel de télécommunications du public sourd et malentendant. Ses initiateurs espèrent pouvoir quantifier les moyens nécessaires pour une couverture nationale, tel le nombre d’interprètes nécessaires, et le coût global d’un tel service.
Comment sera financé l’éventuel service national de téléphonie adaptée aux sourds et malentendants ? La question aurait pu être réglée en décembre 2007 (lire l’Actualité du 14 décembre et cet Éditorial) lors du débat parlementaire sur le projet de loi relatif au développement de la concurrence au service des consommateurs : un amendement présenté par la députée U.M.P Marie-Anne Montchamp, repris par le groupe socialiste a été rejeté par le Gouvernement et les deux chambres du Parlement. Lors des débats, le secrétaire d’État à la consommation, Luc Châtel, a refusé le principe de la péréquation, c’est-à-dire le financement du service de téléphonie adaptée au moyen d’une contribution prélevée sur l’ensemble des abonnés; le ministre s’est dit « attentif à ce qui a été réalisé au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, où il est fait appel au financement à travers le mécénat ».
Un mode de financement que rejettent les associations de déficients auditifs, ainsi que Viable et WebSourd : « Le financement par le mécénat risque de ridiculiser la France aux yeux de l’Europe ! s’emporte Tom Hillyard. Si le gouvernement rejette le prélèvement sur les abonnements, qu’il trouve un autre moyen, l’impôt par exemple ». L’une des pistes envisagées par le gouvernement serait de faire payer le service par les usagers au moyen de la Prestation de Compensation du Handicap, procédé qualifié « d’inacceptable » par Viable : « Ce serait la pire des choses, affirme François Goudenove, une véritable usine à gaz, et pour l’entreprise gérante du service téléphonique, ce serait l’horreur ! Les opérateurs en téléphonie doivent financer l’accessibilité au téléphone par la création d’un fonds spécifique ».
Websourd espère pouvoir fournir, au terme de son expérimentation, une estimation des moyens nécessaires et du coût global de fonctionnement d’un service national de téléphonie adaptée, ainsi qu’une méthodologie éprouvée pour sa mise en oeuvre. De quoi éclairer les choix du Gouvernement; mais voudra-t-il l’entendre ?
Laurent Lejard, mars 2008.