La victoire de Samothrace s’envole, Henri IV enfant virevolte espiègle au-dessus des statues d’école française et dévaste la cour de Marly, Poséidon parcourt les rues de Paris : tels sont les événements qu’un jeune sourd, Bastien, doit apprendre à gérer au musée du Louvre ! Recruté comme libérateur de l’âme des oeuvres d’art, il devra maîtriser à la fois sa révolte intérieure et l’exubérance des statues et peintures dont il doit soulager les souffrances des personnages qui y sont enfermés.

Tel est l’argument d’Aux heures impaires, bande dessinée fantastique que le dessinateur et scénariste Éric Liberge vient de réaliser pour une collection initiée par le musée du Louvre, en collaboration avec l’éditeur Futuropolis. « Fabrice Douar, du secteur édition du musée du Louvre, m’a proposé une carte blanche, explique Éric Liberge, j’y ai mis mon imaginaire ». L’histoire qu’il a créée est également un hommage à son frère sourd profond, qui s’exprime uniquement en langue des signes. « Pourquoi ne pas mettre en collision deux mondes ? Celui de la culture, et celui d’un profane sourd en colère face à la société et une grosse institution. J’ai voulu coucher sur le papier un aspect de ma vie en rendant hommage à mon frère. Je voulais présenter un sourd qui refuse l’oralisation, jette ses appareils auditifs, rejette les entendants qu’il voit comme vivant dans un autre monde. La passerelle avec leur monde, c’est l’art, le musée qui agit, adoucit les moeurs. »

Éric Liberge fait basculer le lecteur de la réalité vers le fantastique par un micro détail, lors d’une traversée rapide du miroir : « Mon intention était de mettre en évidence cet aspect différent de la perception. Bastien établit une relation particulière avec chaque oeuvre, il est comme le fou du village qui perçoit d’autres sensations ». Éric Liberge a passé une nuit entière au musée du Louvre, en compagnie des gardiens, à déambuler parmi les collections. « La victoire de Samothrace, ce fut une vision. Parfois, on rame pour trouver une idée de couverture pour un album. Et là, elle s’est imposée. » S’il n’a pu photographier le poste central de surveillance, Éric Liberge s’est appliqué à reproduire les locaux techniques et bureaux des gardiens. « Il existe des recoins, sous les toits, qui n’ont pas dû être ouvert depuis 60 ans ! On voit nettement des architectures qui se sont superposées, des faux marbres, du décor. Je suis passé par des sous-sols qui ont servi d’abri durant la guerre, des couloirs secrets qui font le tour de fausses verrières, comme celle qui surmonte la victoire de Samothrace dont le visiteur pense qu’elle est éclairée par la lumière du jour… »

« La nuit, on a une autre perception des oeuvres. Certaines salles ne sont éclairées que par une loupiote, il n’y a plus de bruit autres que celui des femmes de ménage, des pas des gardiens. Les sculptures de la cour de Marly ne sont plus éclairées par le haut, mais par des veilleuses en bas, les statues prennent un autre aspect, leurs ombres s’étirent démesurément, leurs visages sont plus dramatiques. Lorsque j’ai vu la statue plaquée d’argent de Henri IV enfant, je me suis senti entouré. Dehors, la lumière jaune orangé et changeante provenant des immeubles de la rue de Rivoli donnaient vie à cet enfant. J’avais besoin de la nuit pour certains passages de l’album, avec ses rondes de gardiens dans le contexte. On rentre de plain-pied dans la peau du personnage, avec une base rationnelle sur laquelle le fantastique se déploie. C’est comme si l’on tirait deux panneaux l’un vers l’autre. »


Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2009.


Aux heures impaires, d’Éric Liberge, Futuropolis Musée du Louvre Editions, 16€ en librairies. Par ailleurs, ce Louvre différent d’Éric Liberge est à découvrir dans une exposition qui se déroule jusqu’au 13 avril 2009, Le Louvre invite la bande dessinée, dans laquelle les quatre albums co-édités par le Louvre et Futuropolis sont présentés avec des planches originales.

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