« Sourd, et alors ? » Telle est la question que le comédien toulousain Jef’salias Jean-François Piquet, a lancé presque tous les jours du mois de juillet aux nombreux spectateurs qui ont poussé la porte duThéâtre du Rempart à Avignon. Seul sur scène, Jef’ racontait en gestes et signes les épisodes majeurs de sa vie, depuis sa conception par papa-maman, sa naissance, la découverte de sa surdité, son éducation, son mariage… Une vie contrastée à cause, ou plutôt grâce à une surdité profonde qui a sculpté sa personnalité, attachante et ouverte aux autres. Et un parcours parfois difficile face à l’immensité des entendants, auxquels il présentait quelques aspects des Sourds et de leur monde, en les initiant ludiquement à la Langue des Signes Française. Les parties signées étaient traduites en français parlé par un interprète dissimulé aux regards… jusqu’à ce que Jef’s aille le sortir de son cachot pour un duo inattendu !

En matinée, Jef’s organisait pour les enfants et les grands une initiation gratuite à la LSF, puis diffusait, dans la journée, des autocollants reproduisant 4 signes essentiels : « Bonjour », « Ça va ? », « Oui », et son surnom, « Jef’s », deux doigts crochetant une mèche de cheveux, souvenir du temps ou le petit Jean-François jouait avec ses boucles…

« En 2005, la loi a reconnu officiellement la langue des signes, explique-t-il. Ça m’a donné envie de présenter un spectacle autour de cette langue et de la culture sourde. Mon identité, c’est la communauté signante. Mais je suis prêt à m’intégrer aux entendants, sans avoir peur de leur regard, sans timidité, par signes ou avec l’écrit. A Toulouse, il y a un pôle très fort où on a vraiment sa place en tant que sourd, avec aussi un rapport aux entendants, très ouvert, en leur apprenant la langue des signes, en communiquant en signes avec eux. Et nous, Toulousains, avons aidé d’autres sourds en France à sensibiliser des entendants, à leur présenter la langue des signes et le monde des Sourds. »

« On ne peut pas se reposer, en fait. Il faut toujours travailler, avec des actions positives, pour montrer que les Sourds existent. Depuis la création de ‘Sourd, et alors ?’, j’ai joué dans plus de 40 villes, pour un public mixte et ça fait vraiment du bien de voir que l’on peut vivre ensemble. Et j’essaie d’éviter de juger les oralistes, ou le regard des sourds vus comme des malades, je préfère montrer que nous sommes heureux, simples, que nous avons une langue des signes qui est notre langue, qui apporte une grande liberté d’expression. Une langue que beaucoup de gens veulent apprendre, et qui est devenue une option au Baccalauréat. »

« Ce que je montre en tant que comédien, c’est que j’ai une culture sourde, qui vient de la communication. Le mot ‘handicapé’ me gène, quand on me regarde je n’ai pas envie que l’on porte sur moi un regard négatif comme pour les personnes en fauteuil roulant, ou malvoyantes. Nous, nous avons un problème de communication, le frein est là. Il faut qu’on partage l’effort par rapport à ce problème, et par le mime, l’expression écrite, trouver un moyen de s’entendre et de lever ce frein. Il faut que la loi de 2005 continue à donner des outils pour cela. Quelques sourds, très peu, dont Emmanuelle Laborit, ont joué au Festival d’Avignon. Avec mon one-man-show, j’ai envie de m’ouvrir aux entendants. D’autres sourds jouent des one-man-shows, mais assez fermés, faits pour les sourds. Je veux casser ce mur, montrer aux entendants qui nous sommes. Mon spectacle est complètement bilingue. Je sens qu’il y a aussi un travail à faire en direction de la presse, des médias, pour faire parler des Sourds, sensibiliser, porter un autre regard. »

Propos recueillis par Laurent Lejard, août 2010,
interprétation LSF assurée par Lucie Lataste.

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