Comme la langue des signes, l’origine de la lecture labiale se perd dans la nuit des temps. Depuis que l’homme sait parler, il sait aussi lire sur les lèvres. Cette capacité innée s’active lorsque l’audition disparaît. En cet art, comme en tant d’autres, le lot de l’humanité est l’inégalité. Certains ont la « bosse » de la lecture labiale comme d’autres ont la « bosse des maths ». De jeunes devenus sourds développent une lecture labiale remarquable en seulement quelques mois et sans aucune aide. Cependant, l’inné ne suffit pas toujours, d’autant qu’avec l’âge, la plasticité du cerveau diminue alors que la majorité de la population concernée devient malentendante vers cinquante à soixante ans. Il faut donc compléter l’inné par un enseignement.

Il est curieux de constater que, comme pour l’apprentissage de la lecture sur papier, deux méthodes existent : l’analytique et la globale. Entre les partisans de l’une et de l’autre, le débat est vif. Je me garderai d’y entrer. Je constate simplement, suivant la majorité des labiolecteurs, que la méthode analytique est plus ardue, plus longue mais donne à terme, de meilleurs résultats. La méthode globale est plus facile et plus rapide. Or, la rapidité est une condition du maintien des relations sociales. Chaque méthode a donc ses avantages et l’idéal serait de concilier les deux, ce que la plupart des malentendants font empiriquement. Lire sur les lèvres, c’est avant tout lire, seul le support change, du papier aux lèvres. La labiolecture sur les lèvres, consiste à réapprendre à lire les voyelles, puis les consonnes, puis les mots et enfin les phrases.

Maintenir la communication avec les entendants.

Certains s’en étonnent : pourquoi les devenus sourds n’apprennent-ils pas la langue des signes ? Car c’est une vraie langue et, comme pour toute langue, il faut du temps pour l’apprendre, les cours ne sont pas gratuits et une bonne maîtrise exige une longue pratique. Or, le devenu-sourd est entouré de personnes qui entendent. Sa famille, ses amis, ses collègues et toutes ses relations ne vont pas, pour lui seul, apprendre la langue des signes. Le devenu-sourd a besoin, le plus vite possible, de rétablir une communication avec son entourage afin de conserver sa famille, ses amis et son emploi. Par la suite, néanmoins, il aura avantage à s’intéresser au monde sourd et à s’initier à sa langue.

Il se dit bien des choses fausses sur la lecture labiale ; selon certains, elle serait même impossible ! Pour lire une langue, sur le papier ou sur les lèvres, il faut d’abord très bien la connaître et savoir la parler. Certains nés-sourds ont la langue des signes comme première langue et ne maîtrisent pas assez bien le français. C’est pourquoi ils ne parviennent pas à lire sur les lèvres : c’est la connaissance de la langue qui leur fait défaut. Cette difficulté se pose également aux personnes de langue étrangère.

La lecture labiale a néanmoins des limites. Sa pratique exige des conditions particulières : visage bien visible, bon éclairage, bonne articulation, personne et sujet de la conversation connus. Elle est efficace et pratique pour communiquer avec l’entourage. C’est essentiel et c’est déjà beaucoup. Une bonne lecture labiale permet d’être autonome et de ne pas dépendre en permanence d’un interprète ou d’un transcripteur. Elle est inefficace pour les activités culturelles (cinéma, théâtre, télévision), l’enseignement, la formation continue, les réunions, etc., qui doivent être rendus accessibles par d’autres moyens, principalement la transcription et les aides sonores spécialisées.

Lorsque l’on perd l’audition, le maintien dans la vie sociale et professionnelle exige la mise en oeuvre d’un ensemble de mesures (para)médicales, techniques et administratives. Ces démarches et techniques sont trop souvent ignorées des devenus sourds qui ne bénéficient pas d’une prise en charge pluridisciplinaire. La lecture labiale est l’une des principales compensations.

La réédition de la méthode, unique en son genre, de Jeanne Garric (ancienne professeure à l’INJS décédée en 2004) était donc indispensable. Elle maintient à la disposition des orthophonistes et des devenus sourds ou malentendants un ouvrage nécessaire à leur réinsertion sociale.


Marc Renard, président de l’association 2-AS, février 2012.

« Lecture labiale et conservation de la parole – Pédagogie et méthode », par Jeanne Garric, préface de Simone Weill. Nouvelle édition complétée par des photographies. Editions du Fox, 19€ chez l’éditeur.

NB: Le titre de cet article est un hommage à Mabel Graham Bell, épouse sourde du célèbre inventeur, qui publia sous ce titre en 1896 un article, qui n’a pas pris une ride…

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