La motivation de la députée du Loiret Marianne Dubois à agir en faveur de la connaissance de la surdité, au sens le plus large, prend sa source dans sa vie personnelle : elle a un fils sourd, aujourd’hui âgé de 30 ans. « Je n’ai pas rencontré d’adulte sourd avant que mon fils n’ait atteint ses 5 ans, explique-t-elle. Je trouve ça lamentable ! Il y a eu un manque énorme. Deux mondes parallèles, et de plus en opposition. » Cet intérêt est publiquement apparu lors de l’atelier que son parti politique, l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), a consacré au handicap à la fin de l’année 2011 à Paris. La députée avait alors tenté de pallier l’absence d’interprètes en LSF pour les militants sourds présents dans la salle, s’attirant la colère (et une certaine forme d’ingratitude) de certains Sourds du fait de maladresses de traduction. Marianne Dubois, qui pratique la LSF sans en être experte, avait donc été bien mal récompensée de sa tentative de combler les lacunes organisationnelles de son parti, ce qui l’avait par ailleurs conduite, avoue-t-elle, à supprimer l’un de ces « ingrats » de sa liste d’amis Facebook…

Mais cet incident n’a pas entamé son envie d’oeuvrer à une meilleure prise en compte des Sourds et de leur langue, ce qu’elle a entrepris en créant un groupe d’étude parlementaire : « Je l’ai créé en juin 2011. Je ne suis députée du Loiret que depuis novembre 2009, en remplacement du titulaire décédé, Jean-Paul Charié. Le temps de connaître le fonctionnement de l’Assemblée Nationale, j’ai eu l’idée de lancer ce groupe de travail après l’examen de la proposition de loi sur le dépistage néonatal de la surdité [lire cet éditorial NDLR]. C’est à ce moment que j’ai compris que les députés ne connaissaient ni la surdité ni la langue des signes ! Pour eux, la surdité n’est qu’une question médicale, alors qu’elle a un aspect culturel que je voulais faire comprendre et connaître. »

Elle a dû convaincre une quarantaine de députés (de tous bords) et vaincre les résistances de son propre parti : « Je me suis adressée au groupe parlementaire. On m’a découragée en me disant que la création du groupe d’étude arrivait trop tardivement dans la législature; on m’a fait attendre plusieurs mois, puis on m’a proposé de le raccrocher à un autre groupe d’étude sur le handicap conduit par Jean-François Chossy. » Le secrétaire national au handicap au sein de l’UMP, Frédéric Bouscarle, lui-même sourd, n’a contacté la députée qu’à l’automne 2011. Marianne Dubois a ensuite peiné pour obtenir une preneuse de notes de l’administration de l’Assemblée Nationale, qui n’est intervenue qu’à la dixième réunion ! De nombreuses associations ont été invitées, la Fédération Nationale des Sourds de France (FNSF) n’en ayant manqué aucune. Un interprète Français-LSF était présent à chaque fois. « C’est un groupe d’études très actif, se félicite Marianne Dubois. Les participants sont de toutes tendances politiques. Jean-Pierre Dupont, qui a porté la proposition de loi sur le dépistage, y vient de temps en temps, mais avec un oeil très médical. » Et de déplorer que la surdité soit encore réduite à « une oreille ‘cassée’, alors qu’il y a tellement de richesse derrière, de choses à connaître et à partager, telle la LSF, qui n’est pas qu’une langue de traduction ! »

Le groupe d’étude a été alerté sur un effet néfaste de l’intégration scolaire, la fuite des jeunes sourds : « Il y a beaucoup de bénéfice à l’intégration scolaire, insiste la députée, mais d’un autre côté les jeunes sourds sont dispersés, isolés, et ne peuvent communiquer entre eux, avec une perte de la langue des signes. Ce phénomène créé un sur-handicap, de la violence, des comportements asociaux. »

Avec ce groupe d’études, Marianne Dubois a constaté qu’il existait beaucoup de choses sur le terrain, d’associations, de moyens d’apprendre ou d’accueillir l’enfant sourd, mais que tout était dispersé : « Je suppose que les jeunes parents qui ne connaissent pas la surdité et qui ont un enfant sourd doivent être complètement perdus ! » Elle déplore un manque de liens, de travail en commun des structures locales qui oeuvrent trop dans leur coin, des querelles de chapelles entre sourds signants, sourds oralisants, devenus sourds, le rejet de l’oralisme voire de l’entendant.

Elle a parfois l’impression d’être traitée en intruse par certains leaders d’opinion sourds et regrette cet enfermement communautaire. Un contexte sur lequel les Centres d’Information sur la Surdité (C.I.S, dont les coordonnées ne sont toujours pas rassemblées sur un site Internet unique) pèsent peu : la députée prend exemple de celui de la région Centre, créé à Blois il y a neuf mois pour couvrir pas moins de six départements !

Un travail à poursuivre ?

Marianne Dubois avait soutenu la proposition de loi sur le dépistage lors du débat du 30 novembre 2010 à l’Assemblée Nationale : « J’ai pris la parole parce que pour moi ce n’est pas le dépistage qui doit être remis en question, mais l’annonce de la surdité, tout le suivi, le choix d’éducation fait par les parents. » Une intervention pour laquelle elle avait demandé qu’un interprète LSF soit près d’elle, mais l’administration de l’Assemblée Nationale a refusé parce que… « cela ne s’était jamais fait » ! C’est donc dans la tribune du public qu’un interprète s’est installé près des sourds assistant au débat.

Si elle se dit prête à la discussion sur le délai de dépistage (trois jours, trois mois ?) la députée insiste sur la nécessité d’un accompagnement par des Sourds ou des associations afin d’éclairer le choix des parents et éviter qu’il ne résulte que de la réponse des médecins. Une approche qui se retrouvait trop, à son avis, dans le plan Déficience auditive lancé par le Gouvernement le 10 février 2010, et dont elle qualifie le bilan de « très mince ». « On a vu la surdité comme un handicap médical, poursuit-elle. J’ai assisté, il y a plus d’un an et demi, à une réunion du comité de suivi, dans une salle du ministère du Travail toute en longueur, mal éclairée, les interprètes à l’autre bout, les micros ne fonctionnaient pas, la projection en vélotypie n’était pas assez grosse, c’était irrespectueux au possible ! Chaque ministère était représenté, chacun disait ‘ben non, on n’a pas fait ça ou ça’ ! Ce jour-là, seules les auto-écoles présentaient leurs efforts d’intégration des Sourds pour la préparation du Code. C’est tout ce que j’ai ressorti de cette réunion… et je n’ai pas été invitée à d’autres. Je ne sais pas s’il y en a eu, le président de la FNSF m’a assuré que non. »

En près de neuf mois de travail, ce groupe d’étude parlementaire a commencé à appréhender les conséquences humaines et sociales de la surdité. Un travail essentiel porté par une seule députée, qui espère le poursuivre lors de la législature qui débutera en juin prochain, après les élections législatives. Au-delà de l’engagement partisan de Marianne Dubois, que chaque citoyen appréciera à l’aune de ses opinions, il est non seulement souhaitable que ce travail d’étude soit poursuivi, mais que d’autres parlementaires se saisissent d’autres thématiques telles que la cécité, le handicap mental ou psychique, pour que ceux qui font les lois de la République agissent en élus informés et éclairés. Et là, il y a du travail…

Laurent Lejard, mars 2012.

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