Depuis décembre 2011, Mojo Mathers, 46 ans, siège à la Chambre des Représentants de Nouvelle-Zélande. Avec une particularité qui l’a fait entrer dans le club très restreint des parlementaires handicapés : Mojo Mathers est née sourde, du fait d’un accouchement difficile. Elle s’exprime oralement et en langue des signes (qu’elle a notamment employée le 15 février dernier pour sa première intervention à la Chambre), lit sur les lèvres, et bénéficie d’un assistant qui transcrit les débats en temps réel, pour lequel elle a dû batailler afin d’obtenir qu’il soit rémunéré sur le budget du Parlement, et non pas sur celui de son groupe. Elle a bien voulu exposer pour nous son parcours personnel et politique.

Question : Pourquoi vous êtes-vous investie dans l’action politique ?

Mojo Mathers : J’ai grandi en Angleterre dans une famille qui mettait en avant l’autosuffisance dans un style de vie en accord avec la préservation de l’environnement. Cela m’a donné un amour durable pour la nature. Ma famille s’est installée en Nouvelle-Zélande quand j’avais quatorze ans. J’y ai obtenu un diplôme en Mathématiques et un master en Protection forestière. Mon engagement politique remonte à une dizaine d’années, juste après que mon mari, ma jeune famille et moi ayons emménagé dans un bout de campagne près d’un petit village. La construction d’un immense barrage de stockage pour l’irrigation était en projet, juste en amont de notre maison. Si ce projet était allé à son terme, la rivière qui traverse notre propriété serait devenue un affreux et dangereux canal dans lequel nos enfants n’auraient plus pu se baigner. Avec d’autres activistes, j’ai tâché d’arrêter ce barrage et de sensibiliser le public aux dangers de l’agriculture intensive. La campagne a été un succès et j’y ai gagné une certaine visibilité dans les médias locaux. J’ai rejoint le Parti Vert parce que c’était le seul, pour moi, qui prenait vraiment au sérieux la protection de l’environnement, et j’ai été encouragée à me présenter pour la première fois aux élections générales de 2005. Au fil du temps, je me suis investie davantage dans les questions liées aux handicaps. Avec le soutien d’autres membres du parti, j’ai fait en sorte que celui-ci se préoccupe d’accessibilité et que les militants handicapés soient à même de participer et de s’investir. Quand j’ai rejoint le parti et que je me suis présentée comme candidate, j’ai rencontré quelques difficultés, parce que plusieurs personnes pensaient que je ne serais pas en mesure d’affronter la pression d’être députée à cause de ma déficience auditive. En fait, ça s’est très bien passé et il ne s’est jamais présenté que je ne puisse m’arranger avec le « stress » quotidien d’être Sourde dans un monde entendant. Mais il n’y avait aucun moyen de convaincre les gens à l’avance… J’ai eu la chance d’être entourée par un groupe solide de personnes qui ont appuyé mon engagement pour la perspective unique que j’offrais, ainsi que pour mes capacités analytiques.

Question : Outre les questions liées aux handicaps, quels sujets retiennent votre attention ?

Mojo Mathers : Je suis autant passionnée par la protection de l’environnement que par l’équité sociale; c’est pour cela que j’appartiens aux Verts. J’en suis actuellement la porte-parole pour certaines questions liées à l’alimentation, au bien-être animal, au handicap, à la santé, à la consommation ou à la protection civile. Je suis très heureuse d’avoir l’opportunité d’apporter mes compétences à la cause de l’environnement. Comme personne handicapée, je partage beaucoup d’expériences et de défis que les autres personnes handicapées doivent affronter, et je suis en mesure d’apporter cette perspective au processus parlementaire. Je veux apporter une « différence positive », particulièrement pour les personnes handicapées.

Question : Comment les autres citoyens, handicapés ou non, et vos collègues parlementaires perçoivent-ils votre action ?

Mojo Mathers : Lors de ma prestation de serment, j’ai eu droit a une ovation spontanée des deux côtés de la Chambre des représentants (ce qui n’est pas courant !) et de la part du public qui assistait depuis la galerie, dont de nombreux membres de la communauté sourde, agitant leurs mains en soutien à mon premier discours. Mon élection sous le régime de la proportionnelle mixte a attiré l’attention aux niveaux national et international. Mon combat pour obtenir le financement séparé d’un preneur de notes électronique afin que je puisse suivre les débats parlementaires a reçu un immense soutien du public : journalistes, bloggeurs, tweeteurs et autres ont appuyé mes droits et, plus largement, ceux à l’accessibilité pour les personnes handicapées. Sacré baptême du feu pour une femme politique ! Depuis lors, je suis régulièrement invitée à m’exprimer sur mes expériences. L’intérêt à mon égard traverse la pyramide des âges : des personnes âgées avec pertes auditives aux jeunes handicapés qui y trouvent le courage de suivre leurs rêves et leurs objectifs de vie.

Question : Comment travaillez-vous au quotidien ?

Mojo Mathers : Il y a des défis dans chaque aspect de mon travail, mais la plupart sont très similaires à ceux que rencontrent une personne sourde travaillant avec des entendants. Ce qui m’importe, c’est la manière de contourner les obstacles. En ce moment, mon défi en tant que parlementaire est centré sur ma participation aux débats. La semaine dernière, par exemple, ma première question à la Chambre a dû être soigneusement planifiée car il s’écoule un temps significatif entre ce qui est dit et ce qui s’affiche sur mon écran : cela a entraîné un changement de processus afin que je puisse poser des questions complémentaires avant que le débat ne passe au sujet suivant. Autre défi : les médias. Difficile de m’interviewer par téléphone… Mais les journalistes modifient volontiers pour moi leurs méthodes de travail. Plus je m’installe dans ce nouveau métier, plus je veux être efficace dans ma sensibilisation du public et des médias sur mes domaines de compétences. Mon ambition est d’être reconnue davantage comme un membre effectif du Parlement, plutôt que simplement « la première députée sourde de Nouvelle Zélande ».


Propos (traduits de l’anglais) recueillis par Laurent Lejard, juin 2012.

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