Qu’ils soient petits ou grands, les visiteurs du Manège de Petit Pierre, dans l’Yonne, sont émerveillés par le monde animé qu’un vacher sourd au visage difforme a su créer. Les représentations visuelles et sonores du monde moderne que ce paysan décédé en 1992 voyait se construire autour de lui sont empreintes d’une magie, d’un enchantement, que restitue le court-métrage La mécanique du silence, réalisé en 2010 par la sociologue et documentariste Brigitte Lemaine pour Signes, l’émission de la Radio Télévision Suisse dédié aux Sourds qui fête actuellement ses 30 ans de diffusion. Ce documentaire, dans lequel le comédien sourd Levent Beskardes fait visiter le manège à des enfants déficients auditifs, sert désormais de support à un outil multimédia d’apprentissage de la Langue des Signes Française plus particulièrement destiné aux enseignants et formateurs, mais également accessible aux particuliers.
Pour réaliser ce DVD-Rom, Brigitte Lemaine a fait appel à Bénédicte Labaume, professeure sourde de LSF multi-diplômée, qui enseigne aux jeunes sourds depuis une vingtaine d’années. Avec l’apport des techniciens de l’agence o et de CNRS Images, elles ont élaboré un outil combinant un apprentissage ludique à partir de séquences du court-métrage, approfondissement de la formation des signes, acquisition d’un vocabulaire de conversation courante et des bases syntaxiques. Pour cela, un millier de « vignettes » ont été tournées en vidéo par des comédiens signants et doublées en français. Outre les péripéties habituelles au montage financier d’un tel support, deux années de travail ont été nécessaires à Brigitte Lemaine pour le concevoir et l’élaborer avec les partenaires qu’elle a réunis. « Il s’agit vraiment d’un prototype unique qui a bénéficié de l’expérience de chacun en la matière, pédagogique, filmique et informatique, précise-t-elle. Cela a l’air rutilant à l’arrivée grâce au travail d’habillage graphique du programme et de la jaquette, mais cela a été un énorme travail d’élaboration et de réalisation, sans parler de la production. »
Il en résulte un produit conçu pour l’enseignement de la LSF aux enfants sourds ou entendants, que les adultes néophytes devraient également apprécier. Outre le film, le DVD contient des fiches pédagogiques, un livret d’exercices et un mode d’emploi « lisez-moi » qu’il convient de bien assimiler pour utiliser l’ensemble. En effet, le point fort de cet outil est également un point noir, sa complexité entraînant une certaine lourdeur de fonctionnement. Aussi, il est préconisé de copier l’intégralité des 2,5Go du DVD sur le disque dur d’un ordinateur afin d’éviter la lenteur d’exécution depuis le lecteur. De même, le découverte des fonctions de la partie apprentissage nécessite une attention soutenue et une bonne compréhension du mode d’emploi.
Ces bémols mis à part, la partie apprentissage couvre l’ensemble des niveaux scolaires. « Le congrès de Milan a supprimé l’enseignement en langue des signes, rappelle Thierry Bertrand, chargé des usages numériques et des ressources pédagogiques au ministère de l’éducation nationale. La France a corrigé le tir vers 1992, bien plus tard que les pays voisins. La LSF est une langue officielle de la République depuis 2005. Et actuellement, 8.000 enfants sourds sont scolarisés en établissements scolaires ordinaires dont un tiers s’exprime en langue des signes, 4.000 dans des établissements spécialisés. »
Thierry Bertrand a participé à l’élaboration de la partie pédagogique, en apport de compétence et également financier : « Chaque fiche commence par un QCM, ça plait aux enfants. Le poing sur la page propose une activité complémentaire pour l’enseignant. La main appelle la dactylologie. L’utilisation d’une webcam permet de s’autocontrôler, en comparant le signe que l’on fait avec celui que l’on visionne. L’approfondissement de la langue est réalisé avec des fiches spéciales que l’on active depuis la page à l’écran, ce qui permet un travail sur le français écrit, la culture produite par des sourds. »
Au total, 85 activités sont proposées sur le DVD, auquel il manque peut-être un index pour mieux en repérer les thèmes qui ne sont listés qu’au fil des pages du manuel pédagogique au format PDF.
Ce nouvel outil multimédia d’enseignement de la LSF va donc bien au-delà des produits précédents, assez basiques en vocabulaire et pauvres en pédagogie. Il ne peut donc s’appuyer sur des retours d’expérience. « L’expérience d’enseignement de la LSF provient des associations, du fait de sa reconnaissance trop récente, explique Brigitte Lemaine. Notre DVD est un travail pédagogique expérimental. »
Pas de remontées également du côté de l’Éducation Nationale: « On ne dispose pas encore de retours d’usage sur les méthodes d’enseignement de la LSF, appuie Thierry Bertrand. Et on n’a pas encore de solution viable pour l’enseignement en Langue des Signes Française. »
Thierry Bertrand fait une nette distinction entre les usages de la langue des signes, utilisée par des personnes sourdes ou entendantes pour communiquer entre elles, et celle employée comme langue d’enseignement jusqu’à la plus haute érudition, comme c’était le cas avant l’interdiction de 1880. Et il incite vivement les enseignants et pédagogues à faire connaître leurs retours d’expérience et besoins pédagogiques, s’affirmant disponible pour soutenir un projet multimédia de perfectionnement en LSF. Une « mécanique du silence » version 2.0 ?
Laurent Lejard, novembre 2012.
La mécanique du silence, DVD-Rom pour Windows XP et supérieur, Mac OS 10.4 et plus, Linux via fonction navigateur. Compatible Google chrome, Safari ou Firefox. Copie intégrale sur ordinateur conseillée. Avec deux bonus vidéo sous-titrés : interview de Caroline Bourbonnais, propriétaire du Manège de Petit-Pierre exposé à la Fabuloserie de Dicy (Yonne), et d’Yves Delaporte, ethnologue au CNRS, auteur de nombreux ouvrages et études sur les Sourds, leur culture et leurs langues des signes. Diffusion et vente : CNRS Images, 30€ TTC. Le court-métrage La mécanique du silence et ses deux bonus vidéos sont également disponibles en DVD simple, 20€ TTC.