« Chaque académie propose un PEJS depuis la maternelle jusqu’au lycée ». Trois ans et demi après la publication de cette directive dans une circulaire du ministère de l’Éducation Nationale, rien n’a bougé ou presque dans la trentaine d’académies : trois villes proposent depuis au moins 20 ans un cursus bilingue Langue des Signes Française-français écrit du primaire au baccalauréat, administrativement nommé pôle d’enseignement pour les jeunes sourds (PEJS), et la circulaire du ministre Jean-Michel Blanquer a eu autant de résultats que la précédente du 24 mai 2010 alors que ledit ministre n’était encore que Directeur général de l’enseignement scolaire. La lecture de cette dernière était pourtant encourageante : « La circulaire n° 2008-109 du 21 août 2008 fixait comme objectif l’établissement progressif, dans chaque académie, de la carte des ‘pôles LSF’ où cet enseignement doit être dispensé. Une dizaine de ces pôles sont ouverts ou en cours de construction. » 10 – 3 = 7 pôles LSF disparus en 7 ans : cette arithmétique est-elle correcte ?

Education inclusive mais sourds à part

Pas sûr, parce que personne ne sait vraiment ce qui existe, pas même le ministère de l’Education Nationale. « Il a diffusé une carte pas tout à fait fiable quand on la rapproche des remontées d’information par les parents, conteste Chrystell Lamothe, de la commission éducation de la Fédération Nationale des Sourds de France (FNSF). Cela n’a pas avancé du tout, très peu d’académies proposent un PEJS de la maternelle au lycée. Trois sont complets, à Toulouse, Lyon et Poitiers. » Le ministère ne veut-il pas faire appliquer les directives qu’il diffuse ? « Il devait y avoir des réunions vers la fin de la précédente année scolaire, ajoute Chrystell Lamothe. Elles ont été annulées à cause de l’épidémie de covid-19. Et quand le ministère évoque l’école inclusive, à chaque fois on nous dit ‘Les enfants sourds, c’est à part’. Ils ne se retrouvent pas dans l’école inclusive mais dans les PEJS. Comment est-il possible qu’ils ne soient pas dans la discussion ? Ils devraient faire partie d’un plan d’ensemble, éventuellement adossés à des dispositifs spécifiques. » Le grand service public de l’école inclusive tant vanté par Jean-Michel Blanquer et la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, concerne donc tous les enfants et les jeunes, sauf ceux qui sont sourds !

Selon les chiffres communiqués en janvier 2020 par le ministère, 7.700 des 10.500 élèves sourds sont accueillis en établissements ordinaires. « On vient de terminer un questionnaire aux parents qui sont désemparés en cette rentrée, reprend Chrystell Lamothe. Leur choix, c’est l’offre locale à prendre ou à laisser, ou déménager là où il y a suffisamment d’enfants pour une classe bilingue. » Dans les quelques villes qui comportent un enseignement de LSF, celui-ci peut se limiter à deux heures par semaine, comme une option langue vivante, plus qu’insuffisant pour une éducation bilingue. Un PEJS, c’est à la fois apprendre la LSF et être enseigné avec les cours de toutes les matières dispensés en LSF. Ce qui pose la question du recrutement des enseignants : sourds signants, ou entendants pratiquant la LSF ?  » Dans l’Education Nationale, reprend Chrystell Lamothe, les postes de professeurs sont confiés à des entendants pratiquant la LSF, sauf à Toulouse et Poitiers. Les petits n’ont pas de modèle identitaire, il y une plus-value à être enseigné par un professeur sourd dès la maternelle, le primaire. Nous, on pense que l’impact n’est pas le même pour les enfants. »

Des élèves sacrifiés

Un PEJS peut également ne compter aucun enseignement en LSF, comme celui de Paris. « L’Education Nationale n’a pas mis d’enseignant mais une AESH qui fait office d’enseignant, déplore Catherine Vella, présidente de l’Association Nationale des Parents d’Enfants Sourds (ANPES). C’est très gentil, mais ce n’est pas un enseignant qualifié. Ce pole existe en primaire depuis 10 ans, mais toujours sans enseignant, pour des raisons administratives, budgétaires, malgré la mobilisation des parents. Pas de filière LSF à Paris, la capitale de la France, c’est assez honteux. » Une lacune que pourrait contribuer à combler l’actuel président du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapés, Jérémie Boroy lui-même sourd oralisé, appareillé et signant : il est conseiller au cabinet de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et a l’oreille des ministres.

Qu’est-ce qui évoluerait positivement ailleurs ? « A Nice, poursuit Catherine Vella, l’Éducation Nationale commence juste à négocier, après une première rencontre il y a trois ans, pour le primaire mais pas la maternelle. Pour la vaste académie de Créteil, tout est centré sur Champs-Noisiel. En Normandie, le PEJS est ouvert après le recours de parents au Tribunal Administratif [de mai 2018]. On a l’impression que les académies sont autonomes, on avait l’espoir que le jugement de Caen ferait bouger les choses. J’entends bien que le covid a complexifié les choses, mais quand même, il y a eu beaucoup d’élèves sans interprètes, avec une AESH qui fait ce qu’elle peut, on lui demande de faire l’interprétation à la journée longue. Entre les grands discours et les réalités de terrain, il y a un grand écart. » Si Catherine Vella constate que des discussions débutent, elle craint que l’élection présidentielle de 2022 entraine une nouvelle mise en attente : « Pendant ce temps, les enfants grandissent. Ces enfants-là ont besoin d’un avenir, c’est absolument scandaleux. On ne veut pas mettre d’interprète en maternelle alors que c’est la base de la socialisation, on saupoudre en élémentaire, ca se délite au collège, et au lycée il n’y a plus rien. Ca fait déjà un bon moment qu’on discute, maintenant il est temps d’agir. On a essayé la gentillesse, participé aux réunions, on a passé du temps, dépensé de l’argent, on s’est fait avoir sur toute la ligne. Que faut-il faire pour que les enfants sourds aient les mêmes droits et chances que les autres, qu’on cesse de leur interdire d’aller au bout de leur projet ? On s’est vu en janvier, pour constater que rien ne va. Le covid est arrivé, et rien ne passe. On fout en l’air une génération de jeunes, qui vont déprimer et n’auront plus espoir en l’avenir. »

Laurent Lejard, septembre 2020.

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