C’est la précédente présidente de l’Agefiph, la syndicaliste de Force Ouvrière Anne Baltazar, qui a révélé le projet le 4 juillet dernier : « Sous couvert d’un ‘rapprochement’ des Cap Emploi (les opérateurs de placement spécialisés sur le handicap) au sein de Pôle emploi, l’offre d’accompagnement opérée par l’Agefiph (secteur privé) et le FIPHFP (secteur public) disparaîtrait. Les fonds liés à l’obligation d’emploi de 6% de travailleurs handicapés dans les entreprises – gérés par ces deux structures – seraient, eux, récupérés par Pôle emploi ! » Ces éléments émanent d’un document de travail gouvernemental et confirment ce que l’on pressentait dès janvier 2018 : l’Etat veut récupérer les 600 millions d’euros de contributions versés par les employeurs publics et privés qui n’atteignent pas le quota de 6% de travailleurs handicapés pour les transférer au budget de Pôle Emploi. Ce dernier remplacerait les opérateurs spécialisés Cap Emploi qui sont actuellement chargés de recevoir les travailleurs handicapés pour les conseiller, orienter, placer et maintenir dans l’emploi. Ces missions seraient alors assurées par Pôle Emploi ce qui simplifierait le parcours des travailleurs handicapés privés d’emploi : un seul guichet pour la recherche d’emploi et l’indemnisation chômage. Sauf que Pôle Emploi n’a pas dans ses missions le maintien dans l’emploi après maladie ou accident et ne saura pas faire, ce que ne manque pas de relever Anne Baltazar.
Tout comme ses conseillers ne savent pas apprécier les situations de handicap par rapport à un métier ou un poste de travail, ainsi que le confiait le directeur de Pôle Emploi aux députés, le 9 décembre 2017 : « Un rapport de l'[Inspection Générale des Affaires Sociales] a noté que nous orientions des handicapés vers Cap emploi, mais pas forcément ceux dont l’éloignement de l’emploi était dû principalement au handicap […] Il est regrettable que les conseillers de Pôle emploi maîtrisent mal les aides proposées par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) : ne pourrions-nous pas spécialiser nos conseillers dans certaines agences ? » Une idée qui renvoie à ce que faisait dans les années 1990 l’ANPE, ancêtre de Pôle Emploi, et qui a lamentablement échoué : les quelques conseillers spécialisés basés dans « certaines agences » devaient gérer des centaines de dossiers de travailleurs handicapés qu’ils adressaient aux organismes spécialisés de l’époque, les EPSR (Équipes de Préparation et de Suite au Reclassement). A la différence de l’ANPE, celles-ci prenaient en compte l’intégralité de la situation des usagers : revenus, situation sociale, besoin de logement ou de formation, prospection auprès d’entreprises, etc. Ce traitement global que poursuivent les Cap Emploi héritiers et continuateurs des EPSR, les conseillers de Pôle Emploi ne pourront pas le réaliser par manque de temps et de compétence. De plus, le nombre d’employés doit baisser de 4.000 d’ici 2022 soit 8% des effectifs, ils devront faire davantage en étant moins nombreux.
On le voit, les plus de 515.000 travailleurs handicapés privés d’emploi n’ont rien de bon à attendre de la suppression des Cap Emploi. Alors que leur nombre n’a jamais été aussi élevé, il est totalement irresponsable de supprimer un dispositif de prise en charge qui a procuré du travail à près de 85.000 travailleurs handicapés et maintenu dans l’emploi 20.000 autres l’an dernier. De plus, transférer les fonds nécessaires aux actions de retour ou maintien dans l’emploi, au budget de Pôle Emploi entrainera une limitation drastique de ces actions. Le Gouvernement a réduit cette année le budget de fonctionnement de cet organisme de 85 millions, et devrait se désengager davantage. Un décret réformant l’indemnisation chômage augmente la dotation de Pôle Emploi par l’Unedic, qui finance les allocations aux chômeurs, de près de 400 millions d’euros. Avec les 600 millions des deux fonds pour l’emploi des travailleurs handicapés, c’est un milliard d’euros qui pourrait tomber dans les caisses de Pôle Emploi, permettrant au Gouvernement de réduire d’autant le financement par le budget de l’Etat.
Dans le même temps, le projet de réforme des minima sociaux pourrait contraindre les bénéficiaires de l’Allocation Adulte Handicapé à rechercher activement un emploi sous peine de suspension ou suppression de ce revenu d’existence, autre source d’économies pour le budget de l’Etat. Les allocataires devraient alors s’adresser à « certaines agences » Pôle Emploi pour être aidés et accompagnés dans leurs recherches et parcours professionnel. Un retour de près de trente ans en arrière qui augure de jours bien sombres…
Laurent Lejard, août 2019.