Drôle de séance à l’Assemblée Nationale le 28 janvier dernier. C’était la matinée du MoDem, parti centriste membre de la majorité gouvernementale, et elle débutait par une intéressante proposition de loi visant à créer au moins une heure de tranquillité dite « silencieuse » dans les grandes surfaces commerciales. Élaborée et défendue par Nadia Essayan, députée du Cher, elle aurait donné force de loi à la réalisation du Super U de Vierzon : depuis décembre 2018 sur la demande d’une association locale, pendant une heure hebdomadaire l’éclairage y est plus faible, la musique d’ambiance coupée et les annonces d’autant plus supprimées qu’il n’y en a guère en temps normal. Ces « heures silencieuses » assurent des conditions d’achat moins perturbantes pour les clients handicapés, autistes notamment. A la fois agréable pour tous et aucunement gênant, à tel point que cette heure a été doublée, et que le Groupe U l’a étendue un an plus tard à ses 1.600 magasins.
Et voilà qu’en commission, la députée change totalement le texte de sa proposition de loi, remplacé par une concertation avec les acteurs de la grande distribution et des associations visant à définir « les mesures visant à faciliter l’accès des personnes en situation de handicap aux ensembles commerciaux et aux commerces de détail » de plus de 1.000 mètres carrés. En clair, les députés ont été convoqués pour que des organisations qui peuvent aisément se rencontrer… se rencontrent effectivement. Pour discuter de quoi ? L’accessibilité aux centres commerciaux est obligatoire depuis la loi de 1975 applicable en 1978, modifiée avec obligation de résultat en 1991 et applicable depuis 1995 pour les personnes en fauteuil roulant. La priorité d’accès est inscrite dans la loi depuis 1975, précisée dans celle du 11 février 2005, détaillée dans un arrêté du 20 avril 2017 remplaçant d’autres dispositions plus anciennes. L’une des difficultés fréquemment rencontrées dans les grandes surfaces est la fermeture de ces caisses adaptées, au mépris de la disposition réglementaire : « Lorsqu’il n’existe qu’une seule caisse de paiement, celle-ci est accessible aux personnes handicapées ». C’est pourtant facile à régler, une concertation n’est pas nécessaire. De même que le refus de laisser entrer des clients handicapés aidés d’un chien guide ou d’assistance, leur accès dérogatoire à tout est inscrit dans la loi depuis 33 ans : il suffit d’intégrer cette information légale dans la formation des employés et des vigiles, là encore point besoin de 18 mois de concertation. Faut-il rappeler que le ministère de la transition écologique et solidaire annonçait le 3 mars 2019 au sénateur Michel Dagbert la création dans l’année d’un observatoire de l’accessibilité des chiens guides d’aveugles ou d’assistance, qui a été oublié aussitôt qu’annoncé ? On verra bien de quelle inventivité seront capables les associations de personnes handicapées qui se sentiront obligées d’aller discuter avec les représentants des grandes enseignes commerciales.
Mais revenons à l’exploit réalisé par Nadia Essayan, qui a réussi à transformer une unanimité en déception. « Que reste-t-il de l’ambition première de cette proposition de loi dans un texte qui se borne désormais à demander la mise en œuvre d’une négociation entre acteurs concernés et associations représentant les personnes en situation de handicap, en concertation avec les ministres ? » a clamé la radicale de gauche Sylvia Pinel, ancienne ministre des gouvernements Ayrault et Valls, pourtant pas un foudre de guerre dans l’action en faveur des personnes handicapées : « Je passe sur le fait que cette invitation à la concertation ne relève, de notre point de vue, pas de la loi. En tant qu’ancienne ministre du commerce, je sais que des négociations ont lieu tous les jours dans les ministères sans qu’il soit nécessaire de recourir à un texte législatif. » Le député communiste Sébastien Jumel enfonce le clou : « Est-il besoin d’ouvrir une concertation de dix-huit mois pour décider d’une disposition qui devrait déjà s’appliquer ? […] La réécriture opérée en commission a un peu vidé de sa substance le texte et lui a fait perdre de l’énergie. » Le socialiste Dominique Potier a également fait part de sa déception : « Vous aviez proposé un petit pas que personne n’avait considéré comme insignifiant […] Après Sylvia Pinel, Sébastien Jumel et un peu tous les orateurs finalement, je m’interroge : est-il nécessaire de légiférer pour engager une concertation dans ce pays ? » Et la députée du Cher de finir la séance en larmes après avoir fait adopter une loi inutile…
Laurent Lejard, février 2021.
NB : le magasin Super U de Vierzon expérimente actuellement le système PrioCall de priorité d’accès à la caisse… prioritaire ! Le client doit présenter sa carte mobilité inclusion invalidité ou priorité à l’accueil, on lui remet une carte à introduire dans une borne mitoyenne de la caisse pour qu’un spot bleu informe les clients de la file d’attente qu’un « prioritaire » va passer devant eux. Et après avoir payé, le client handicapé va rendre la carte PrioCall à l’accueil du magasin. Obtenir une carte de priorité pour utiliser « sa » carte de priorité, on n’arrête pas le progrès…