Le président de la Fédération Nationale des Métiers du Stationnement (FNMS), Jean-Laurent Dirx, souhaite lancer une concertation avec les associations de personnes handicapées pour contraindre les usagers du stationnement en zones payantes à inscrire leur véhicule dans des bases de données locales. L’objectif est de limiter à ces seuls usagers la gratuité pourtant accordée par la loi du 18 mars 2015 mais malmenée depuis la réforme du contrôle du stationnement payant appliquée à partir de janvier 2018. La création d’un tel système permettrait de généraliser dans les villes à stationnement automobile payant un contrôle par Lecture Automatique de Plaques d’Immatriculation (LAPI), véhicule délicieusement qualifié de « sulfateuse à PV ». Les usagers handicapés non inscrits dans la base de données locales des dérogataires pourraient alors être sanctionnés automatiquement d’un Forfait Post-Stationnement (FPS), à charge pour eux de faire valoir leur droit au moyen d’un Recours Administratif Préalable Obligatoire (RAPO) puis de la Commission du Contentieux du Stationnement Payant (CCSP) qui met actuellement plus de deux ans pour traiter les dossiers. Rappelons que le contrôle du stationnement payant est assuré par des employés municipaux (ASVP) ou de sociétés privées intéressées au chiffre d’affaires des recettes et FPS non annulés.
Question : Votre fédération s’inquiète de la fraude à la gratuité du stationnement pour les usagers handicapés; qu’a-t-elle a constaté ?
Jean-Laurent Dirx : La fraude s’est très fortement accentuée depuis le 1er janvier 2018, date d’entrée en vigueur de la dépénalisation et décentralisation du stationnement qui a permis aux villes de mettre en place des contrôles plus efficaces. Certaines ont augmenté le niveau de contrôle, avec des moyens internes ou en le déléguant. Dans toutes ces villes, on a constaté une augmentation du nombre de véhicules affichant une carte de stationnement personne handicapée. A Marseille, dans certaines rues, on arrivait à 15% de cartes, et à Paris 13%. Des villes ont déployé des dispositifs pour tenter de limiter ce recours, cet usage de fausses cartes, ou de vraies cartes utilisées à des fins qui ne sont pas les bonnes. Par exemple, on m’a rapporté le cas d’un père de famille étonné de recevoir plusieurs FPS parce qu’il utilisait la carte de sa fille pour aller travailler sans qu’elle soit avec lui. Il ne suffit pas d’avoir une carte européenne ou une carte mobilité inclusion pour obtenir une gratuité, vous êtes bien d’accord qu’elle est accordée quand on est soi-même en situation de handicap ou qu’on accompagne une telle personne.
Commentaire : L’usage abusif de cartes de stationnement est un « sport » ancien, il remonte à la création des macarons Grand Invalide Civil en 1990. Toutefois le contrôle de l’utilisation de ces cartes est de la compétence exclusive des policiers et gendarmes, l’infraction étant passible d’une amende dissuasive de 1.500€, doublée en cas de récidive. En revanche, un contrôleur du stationnement payant qui punit un tel usage d’un FPS se met en faute : il n’a pas qualité à décider si l’usage est normal ou pas pour le sanctionner, et son employeur pourrait de ce fait être poursuivi en justice. L’argument que le titre ouvrant droit à gratuité n’est pas valable ne résiste que s’il est démontré par une vérification dans les formes légales de ce titre de gratuité, sinon cela revient à se faire justice soi-même. Si on exige des usagers de respecter la loi et la réglementation, les contrôleurs doivent faire de même et ne pas sortir de leur rôle.
Jean-Laurent Dirx : Ce qui existe également largement aujourd’hui, c’est la fraude. Vous trouvez des photocopies, de très bonnes imitations de cartes sur Internet, vous les imprimez de façon quasi professionnelle et vous obtenez une carte.
Commentaire : Il s’agit ici d’une contrefaçon constituant un délit bien plus coûteux, passible au maximum de 75.000 euros d’amende et 5 ans de prison. Sa constatation est là encore de la compétence des policiers et gendarmes. En se contentant de punir d’un FPS l’usage d’une fausse carte, sans requérir la police ou la gendarmerie, l’agent contrôleur du stationnement se retrouve dans une position de complicité délictuelle potentielle. De plus, un usager qui est de bonne foi a le droit de saisir la justice pour être indemnisé du préjudice occasionné par une sanction infligée à tort. En effet, les anciennes cartes européennes de stationnement constituées d’une simple feuille de papier imprimée puis plastifiée se dégradent au fil du temps et peuvent sembler douteuses alors qu’elle ne le sont pas. Elles sont valables en France jusqu’au 31 décembre 2026, date à laquelle seules les CMI stationnement seront utilisables, outre les cartes des pays membres de l’Union Européenne.
Jean-Laurent Dirx : La carte mobilité inclusion est une réponse partielle à la fraude, elle n’est pas une réponse absolue puisqu’il y a encore des possibilités d’utiliser des fausses cartes. Évidemment, c’est un sujet très sensible. On se souvient qu’au début de la dépénalisation lorsque des villes ont utilisé des systèmes de contrôle automatique LAPI, et même avec des contrôleurs à pied, forcément parfois il y a des erreurs. Ils ne savaient pas distinguer une vraie carte d’une fausse carte, ou ils manquaient parfois de discernement. Ils avaient affaire à tellement de cas et de fraudes qu’au final il y avait dans le lot des FPS des personnes véritablement en situation de handicap. Politiquement c’est compliqué, parce que les élus ont l’impression que le travail n’est pas bien fait ; on nous demande de faire preuve de beaucoup de vigilance, ce qui veut dire grosso modo que quand vous voyez une carte de stationnement vous ne mettez pas de FPS.
Commentaire : Les contrôleurs n’ont ni les connaissances ni les moyens de distinguer le vrai du faux. De plus, que les élus municipaux se retrouvent au contact d’usagers handicapés sanctionnés ajoute à la sensibilité du sujet. Mais le maire a le pouvoir de demander aux policiers municipaux d’être vigilants à l’usage des cartes de stationnement quand ils répriment le stationnement interdit, gênant ou dangereux. En pratique, on mesure ici l’effet pervers de cette décentralisation : le contrôle est délégué à des sociétés privées ou des personnels spécialisés, et les policiers sanctionnent nettement moins les autres infractions au stationnement qui pourrissent le quotidien des autres usagers de la voirie.
Jean-Laurent Dirx : Des villes, dont Marseille, ont créé des dispositifs dans lesquels des personnes handicapées peuvent s’enregistrer avec leur carte de stationnement en déclarant leur véhicule ou celui d’un accompagnant. Cela permet lors des contrôles de savoir que pour ces véhicules on a affaire à des personnes en situation de handicap. Et sur les horodateurs on peut prendre un ticket PMR qui donne 24 heures gratuites.
Commentaire : La CCSP vient d’annuler quatre FPS infligés à un automobiliste sanctionné à Marseille en juin et juillet 2018 au motif qu’ils étaient « dépourvus de base légale ». La juridiction de recours sanctionne ainsi le « système » marseillais validé par l’APF France Handicap. De plus, ce système présume d’une utilisation correcte en tout temps de la carte de stationnement, ce qui assure une impunité totale au père de famille évoqué par Jean-Laurent Dirx dans sa première réponse. Enfin, le ticket PMR représenterait selon Jean-Laurent Dirx 20% des retraits sur horodateurs à Marseille : si la centrale de contrôle en est informée en temps réel pour envoyer un employé à scooter vérifier la présence d’une carte de stationnement sur le véhicule, cela prend du temps pour le repérer dans la rue et se multiplie par le nombre élevé de voitures signalées.
Jean-Laurent Dirx : S’il n’y avait pas autant de fraude, on n’inventerait pas des dispositifs qui de fait sont contraignants pour les personnes en situation de handicap.
Commentaire : Avant même l’application de la réforme du stationnement payant, la Commission Nationale Informatique et Libertés a le 14 novembre 2017 rappelé que le contrôle automatique sans vérification visuelle de la présence d’une carte pour véhicule de personne handicapée est contraire à la loi. La loi du 18 mars 2015 accordant la gratuité aux usagers handicapés a été adoptée par le Parlement pour leur faciliter la vie, leur imposer aujourd’hui des contraintes pour automatiser les contrôles et faire du chiffre s’oppose à la volonté de la représentation nationale qu’est le Parlement.
Jean-Laurent Dirx : On a créé un groupe de travail au sein de la FNMS et on souhaite travailler avec les associations de personnes en situation de handicap pour pouvoir élaborer un dispositif qui pourrait être une proposition au législateur pour faire évoluer la loi. On pense que c’est dans l’intérêt même des personnes handicapées de ne plus être sujettes à des FPS, et en même temps pour ce qui est des collectivités et des exploitants de lutter contre cette fraude massive.
Commentaire : Le rôle des associations de défense des droits des personnes handicapées est-il de défendre les droits acquis de ces dernières, ou de participer à un détournement du droit national ? La constatation et la répression de l’usage indu ou de la contrefaçon de cartes de stationnement sont de la responsabilité et compétence exclusive des forces de police et de gendarmerie, et dans ce cadre les amendes sont nettement plus efficaces. Ce n’est pas un FPS à 17€ une fois par mois qui dissuadera des fraudeurs qui le rentabilisent en quelques heures de stationnement non payé.
Laurent Lejard, février 2021.