Après avoir oeuvré pendant quelques éditions dans la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes), Souroupa se déroulera du 6 au 8 juillet 2018 intégralement à Nice pour la deuxième fois, après une première difficile en 2017 comme l’explique sa fondatrice, Marie-José Chabbey : « Nous avions choisi comme date le week-end du 14 juillet, commandé les spectacles et réservé l’espace Magnan et n’avons rien pu modifier après l’attentat du 14 juillet 2016. Le festival a été pénalisé par la commémoration de ce triste événement, un an plus tard, la venue d’Emmanuel Macron et les difficultés de circulation, et la proximité dans le temps avec le festival Clin d’Oeil de Reims. Il n’y a jamais eu un public si peu nombreux mais en revanche, il s’est montré très chaleureux et participatif. » Cette implantation a également entrainé des échanges avec les associations de Sourds de Nice, du département des Alpes-Maritimes et de Marseille, dont les membres viennent au festival. « Au niveau institutionnel, conclut Marie-José Chabbey, la manifestation est soutenue par le Conseil Régional Provence-Alpes-Côte d’Azur qui en est le partenaire principal, le Département des Alpes Maritimes et la ville de Nice. » Une véritable reconnaissance, par les collectivités locales, de 13 années de travail et d’ouverture culturelle.
Sourde de naissance, Salima Zerdoum est Niçoise d’adoption; elle affirme une passion pour le théâtre depuis son enfance : « Je rêvais de devenir comédienne professionnelle. Puis, en vrai, j’ai réussi mon parcours professionnel de théâtre. J’ai travaillé à Poitiers au Centre Dramatique Poitou-Charentes (CDPC) avec sa directrice, Claire Lasne, pendant 4 ans. Puis à International Visual Theatre (IVT) et dans quelques compagnies. Puis, un jour tout a basculé, j’ai été obligée d’arrêter de jouer au théâtre. » Elle s’est installée à Nice, et le hasard des relations lui a fait rencontrer Marie-José Chabbey qui lui a redonné l’occasion de jouer : « J’ai aussi rencontré l’ARMILS qui m’a proposé de traduire en Langue des Signes Française l’hymne niçois ‘Nissa la Bella’. » Hymne qu’elle interprètera en ouverture du festival, un chansigne avec Nathalie Audap et bien d’autres participants. « A Nice, reprend Salima Zerdoum, il n’y pas d’atelier théâtre, professionnel ou amateur. Alors j’ai décidé de créer des ateliers de théâtre et chansigne. Ici, les Sourds s’enferment, tournent toujours en rond. La mer, les montagnes, c’est bien, mais la culture manque : c’est grave quand même ! Je veux me battre pour ça, ma passion du théâtre, ce n’est pas seulement ma carrière mais aussi pour les autres Sourds, je veux leur donner la joie, le plaisir, la chance… »
Comédienne entendante de la compagnie Rouge Vivier, Estelle Aubriot est une habituée de Souroupa : « C’est une histoire de rencontres, rencontre humaine et militante partagée avec Marie-José et Jacky Chabbey, et pour la LSF et la mixité des publics sourds et entendants. On se connait depuis 2008. Rouge Vivier a déjà participé à Souroupa 2014 et maintenant Marie-José Chabbey nous réinvite, Levent Beskardes et moi, avec un autre spectacle et comme parrains de la manifestation. Marie-José et Jacky ont une énergie, une créativité et une générosité incroyables, qui me touchent particulièrement, on se sent de la même famille artistique et valeur éthique. » Estelle Aubriot a eu un coup de foudre pour la LSF lors d’un spectacle de rue à la fin des années 1990 : « J’ai passé mes 12 niveaux à IVT-Paris avec des rencontres, des amitiés avec des Sourds, notamment acteurs. J’ai joué et travaillé en bilingue avec Levent Beskardès, Olivier Schetrit, Delphine Saint Raymond, Marie Boccacio avec qui notre spectacle Duo à 4 mains fête sa 10e année de tournée ! Avec Simon Attia, nous avons une grande connivence de jeu et nous venons de créer notre 3e spectacle ensemble, une commande spécifique du Mucem de Marseille. J’aime travailler aussi en équipe sur le sens profond des textes et la finesse des mots, des langues avec les traductrices Katia Abbou et Kathy Attia. » Estelle Aubriot a également participé à la création de visioguides LSF pour les musées d’Orsay et de l’Orangerie à Paris : « Cela a été un énorme travail de synthèse et clarté d’explications des tableaux, et avec Elisabeth Kraut, traductrice, nous en sommes venues à y joindre un lexique, tellement cette histoire du 19e siècle était dense. Ce qui a été extra, c’est que les musées ont mis les vidéos en ligne, accessibles à tous sur leur site. »
Metteur en scène, Éric Vanelle, travaille avec des artistes et le public sourds depuis une quinzaine d’années, au sein du théâtre du Grand Rond à Toulouse : « C’est dans la continuité de ce travail que j’ai créé avec ma compagnie, la Compagnie de l’Inutile, le spectacle bilingue français/LSF Les Amours inutiles, en 2014. J’ai eu la chance de jouer au festival Souroupa en 2015 avec ce spectacle et c’est un magnifique souvenir. Après cette création, j’ai eu l’envie de retravailler sur un spectacle bilingue Français/LSF pour explorer d’autres manières de mélanger et de croiser les deux langues. Sur Les Amours inutiles, nous étions sur des couples d’artistes sourd/entendant ayant exactement les mêmes émotions et le même texte à porter. Pour Le Mardi à Monoprix, Delphine Saint-Raymond et Marc Compozieux ont le même texte mais donnent au public des émotions qui peuvent être différentes. Dans ce spectacle, ils jouent deux facettes d’un même personnage, Marie-Pierre, sa part féminine et sa part masculine. Ces deux parties ont du mal à communiquer et ce personnage, né homme et devenu femme, est ainsi d’une grande complexité. Pour faire vivre sur le plateau du théâtre cette complexité, il nous fallait un comédien et une comédienne et deux langues, deux cultures. » Un spectacle en cohérence avec le principe même du festival Souroupa, poursuit Eric Vanelle : « Sur ce projet, peu importe que l’on soit Sourd ou pas, l’important est la rencontre autour d’un objet artistique. Nous sommes donc plus que ravis de participer à nouveau à ce festival chaleureux et de croiser les artistes, les publics et l’équipe pendant ce week-end. Nous espérons que notre spectacle sera à la hauteur de la générosité de ce projet, et nous avons hâte d’y être ! »
Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2018.
Souroupa se déroule du 6 au 8 juillet 2018 au Théâtre National de Nice et divers autres lieux. Présentations en vidéo LSF doublée en français oral du festival et de son programme.