L’autisme est un trouble neuro-développemental dont l’origine reste une énigme, même si la piste génétique semble être la plus aboutie. Les statistiques évoquent 650.000 personnes autistes en France, et lorsqu’elles sont correctement et précocement prises en charge (méthodes comportementales, orthophonie, psychomotricité, etc.) et qu’elles ont accès à une scolarisation ordinaire, elles progressent et s’intègrent dans notre société tout en gardant leurs spécificités. Mais ce n’est en aucun cas « une maladie à guérir », contrairement à ce qu’un groupe de médecins a entrepris d’expérimenter en dehors de toute approche scientifique et précautions d’usage, entrainant à leur suite des parents et des professionnels du milieu de l’autisme.
L’affaire Chronimed commence par une conversation avec un parent d’enfant autiste. Cette maman solo parlait librement de responsables associatifs qui mettaient en relation des parents et des médecins d’un groupe appelé Chronimed. Ils les introduisaient auprès de médecins ou organisaient dans un appartement parisien des réunions au cours desquelles les parents rencontraient ces professionnels afin de bénéficier d’un « traitement de l’autisme ».
Il était constitué d’un antibiotique (Zythromax) prescrit pendant plusieurs mois, avec des pauses, mais aussi d’antifongiques et d’antiparasitaires. Un protocole auquel d’autres médecins ajoutaient de la cortisone, des médicaments contre l’herpès, de l’aspirine, etc. Certains proposaient d’autres traitements, tel le Naltrexone, traitement donné habituellement aux alcooliques et toxicomanes. Alors que le Docteur Corinne Skorupka, praticienne radiée en 2010, vantait le GcMAF, une protéine extrêmement dangereuse et faisant l’objet d’une enquête pénale internationale. Ces différents traitements pouvaient être associés à « un régime sans gluten accompagné d’une chélation », sorte de détoxification, à base de plantes ou de composés chimiques, de l’organisme de l’enfant afin de le « nettoyer » des métaux lourds que son corps est supposé contenir. Ces praticiens partaient du principe que les enfants autistes auraient pu vivre près d’une centrale nucléaire, de champs contenant des pesticides, et cherchaient également des responsabilités dans les vaccins, la pollution, la mal bouffe. Ils ajoutaient parfois à leurs traitements toutes sortes de vitamines et de compléments alimentaires. Des examens spécifiques étaient prescrits aux familles, comme l’analyse de cheveux afin de vérifier la teneur en métaux lourds des enfants.
Protocoles coûteux et petits arrangements déontologiques
Évidemment tous ces traitements, pratiques, et régimes divers et variés allant du « sans gluten » au « sans gluten et sans caséine » jusqu’au régime à base de graines, n’étaient pas sans conséquence sur l’organisme de l’enfant. Sur les réseaux sociaux, les parents parlaient de « fièvre, ganglions, maux de ventre, diarrhée, vomissements, amaigrissement, migraines ». Une maman évoquait également un « arrêt cardiaque ». Ce « protocole expérimental », non recommandé par la HAS, donné sur plusieurs semaines, des mois voire des années pouvaient entraîner de graves effets secondaires et provoquer des pathologies sévères allant jusqu’à la mise en danger de leur vie. Tout en les exposant au risque de développer une antibiorésistance lourde de conséquences tout au long de leur existence.
Les familles dépensaient des sommes folles, entre la visite du médecin, situé parfois dans une autre ville, puis « 1.000€ pour le protocole nutritionnel », environ 400€ pour les analyses et 150€ par mois pour les compléments alimentaires pendant des années. Les adresses de laboratoires spécifiques leur étaient donnés en France et à l’étranger, ainsi que de fondations spécialisées en nutrition et surtout de pharmacies « amies » qui délivraient les produits sur ordonnance sans poser de questions. La mention « hors AMM [autorisation de mise sur le marché] » pour des traitements non reconnus ne figurait pas sur toutes les ordonnances. L’Assurance Maladie a donc remboursé ces traitements pendant des années aux très nombreuses familles.
J’ai décidé d’interroger quelques parents afin de m’informer sur ces « traitements de l’autisme » qui n’avaient jamais été validés par la Haute Autorité de Santé (HAS) et dont l’efficacité n’a jamais été prouvée ni attestée par la moindre étude scientifique internationale. Même si l’article R4127-8 du Code de la santé publique mentionne que « dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions », il précise aussi que le praticien doit « limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins [et] tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ». L’article R4127-39 stipule quant à lui que les médecins ne peuvent « proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite ». Toutefois, afin de mettre en confiance les familles, une attestation leur était donnée pour garantir en quelque sorte le sérieux de ce traitement, signée par le Professeur Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008. Dans une interview réalisée le 22 février 2016 en marge d’un congrès, il expose sa conception : « Maintenant l’autisme est une épidémie mondiale […] il faut expliquer et guérir ».
Ce fut le cas pour la maman d’Alan, Estelle Ast Verly dont le fils fut le « cobaye » de ces traitements prescrits par un psychiatre du Bourbonnais. Ce médecin lui avait été conseillé par un groupe Biomed sur Facebook. Elle avait fait des kilomètres pour le rencontrer. Il lui avait prescrit cette cure d’antibiotiques mais l’état de son fils n’avait cessé de se détériorer, ses problèmes digestifs avaient empiré et ses troubles du comportement décuplé. Affolée, elle avait appelé ce psychiatre en lui disant qu’elle allait tout arrêter. Mais il lui avait rétorqué que si Allan avait des troubles, c’était que le traitement fonctionnait, et que cela faisait partie du processus de guérison. Conseillée encore par ce groupe Biomed Facebook, elle avait contacté une « nutridétoxicologue » qui lui avait expliqué qu’Allan avait été « empoisonné », non seulement par le mercure et l’aluminium des vaccins, mais également par les toxines des aliments que son estomac ne supportait pas, ainsi que par les pesticides, les perturbateurs endocriniens. Selon elle, ces intolérances digestives auraient abîmé son microbiote, entravant le développement de son cerveau. Mais la maman avait finalement pris la décision de tout arrêter définitivement puisque son fils était très malade avec ce traitement et qu’il n’avait fait aucun progrès, régressant même sur plusieurs points. C’est pourquoi elle accepta de témoigner publiquement avec moi dans une tribune publiée le 23 juillet 2018 dans le Huffington Post afin de dénoncer ces faits et les « essais sauvages » dont son fils avait été victime.
Des expérimentations sauvages ?
L’association Chronimed a été créée à la suite de la réunion de l’Association pour le développement de la nutrition orthomoléculaire (ADNO) de décembre 2009, par le docteur Corinne Skorupka et un autre médecin, autour du Professeur Luc Montagnier pour « s’aider mutuellement et fédérer leurs recherches ». L’un de ses médecins, le Docteur Philippe Raymond, travaillait sur l’autisme, les maladies infectieuses avec des germes mal connus comme les borrélioses et la maladie de Lyme. Ces médecins affirmaient que ces infections froides étaient impliquées dans de nombreuses maladies, pathologies, troubles dont fait partie l’autisme selon eux. Ils entretenaient un discours paradoxal, assurant à la fois ne pas « guérir systématiquement » l’autisme tout en faisant des conférences au titre équivoque de « sortir de l’autisme ». Ils affirmaient que les résultats de ces traitements avaient donné de formidables résultats. Le mardi 20 mars 2012, le Professeur Montagnier provoqua une vive controverse lors de la présentation de son exposé à l’Académie de médecine soutenant que « les antibiotiques permettraient d’améliorer un grand nombre d’enfants atteints, en faisant état de 55 % d’amélioration rapide obtenus avec des cures d’antibiotiques sur 97 autistes, en notant que les enfants réagissaient beaucoup mieux avant l’âge de sept ans ». A la suite de cette présentation, les membres de l’Académie de médecine avaient publié un communiqué selon lequel il s’agissait d’« observations cliniques isolées et non d’un essai clinique de type cas-témoin », que « la méthode utilisée et les résultats annoncés demand[aient] à être accueillis avec prudence » et qu’il serait « déraisonnable de donner aux parents d’enfants atteints de cette maladie des espoirs injustifiés avant une validation de ces résultats par plusieurs équipes médicales faisant la preuve de leur reproductibilité ».
Le Professeur Gilbert Lelord, pédopsychiatre grand spécialiste de l’autisme, l’avait contredit lors de la conférence en rappelant que « l’antibiothérapie à haute dose proposée par le Professeur Montagnier n’est pas la première tentative de traitement de l’autisme par voie médicamenteuse, mais que les leçons des essais historiques menés sur la vitamine B6 et la fenfluramine dans les années 1970 et 1980 incitent à la prudence. » Pourtant, les médecins membres de Chronimed réalisaient « des études » que l’on retrouvait dans plusieurs documents publiés sur Internet, et qu’ils diffusaient lors de conférences publiques. Études portant sur 3.000 enfants, réalisées sans demande d’autorisation auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), comme nous l’indique une lettre du Docteur Philippe Raymond du 20 janvier 2018.
Un document avait été également transmis à l’association SOS Autisme France que je préside, dans lequel le docteur Philippe Raymond, membre fondateur de Chronimed, répondait à une interview réalisée par le Collectif autisme. Il y expliquait que « les traitements antibiotiques et immunostimulants seront d’autant plus efficaces qu’ils seront accompagnés par de l’ABA [méthode d’analyse du comportement appliquée] ». Il affirmait qu’« en traitant ces infections par des cures d’antibiotiques de plus en plus espacées, on arrive à réduire de manière souvent spectaculaire les symptômes de l’autisme ». Toutefois, il reconnaît « un taux d’échec d’environ 20% ». Le docteur Raymond donnait l’exemple d’« une voiture à l’arrêt qui, pour redémarrer correctement, a besoin, d’un coup d’accélérateur (l’ABA) et d’enlever le frein à main (traitement antibiotique) ». Il considérait les toxines liées aux maladies chroniques comme de « simples » inhibiteurs. Une fois celles-ci éliminées, le travail de l’ABA s’en trouve facilité et d’autant plus efficace. Il donnait également les résultats d’« un travail personnel […] sur 51 enfants autistes », atteints de troubles envahissants du développement (TED) et Asperger, mais aussi sur des enfants épileptiques. Il assurait que, selon ces résultats, sur « 51 % des enfants traités, l’amélioration est rapide et régulière, dès le premier mois de traitement. Ces résultats se retrouvent chez les autres médecins mettant en oeuvre ce type de traitement ».
Fondations et politiques imbriqués
Il évoquait ensuite l’expérience de l’Institut Médico-Educatif de Suresnes (Hauts-de-Seine) dans laquelle 12 enfants ont été pris en charge de façon intensive avec la « méthode ABA », en mars 2010. Huit d’entre eux ont été suivis par le docteur Raymond. Après une année de traitement, 4 de ces 8 enfants auraient pu être « rescolarisés ». Beaucoup de responsables étaient au courant de ces pratiques dans le milieu de l’autisme puisque ces médecins ne se cachaient guère de cela. Ils avaient tout d’abord montré leurs résultats aux conseillers de Xavier Bertrand, ministre de la Santé à l’époque, et suscité l’intérêt de l’actuel ministre de la Santé, le médecin neurologue Olivier Véran alors député : en reprenant les arguments des partisans d’une guérison de l’autisme par médication, il avait écrit le 30 novembre 2012 à la ministre de la Santé pour lui demander quel financement elle pouvait apporter à un protocole de recherche « assez court et peu coûteux. Ses résultats sont très attendus par les parents d’enfants autistes. Si les résultats se confirment, ils pourraient révolutionner la prise en charge de l’autisme ».
La chercheuse Marion Leboyer, de la Fondation FondaMental, était informée de ces pratiques puisqu’elle en parlait ouvertement lors d’une audition au Sénat le 1er février 2017, en déplorant de ne pas trouver de financement. D’autres personnes tels des responsables associatifs ou des présidents de Fondations faisaient partie du cercle Chronimed. Certains d’entre eux servaient d’intermédiaires entre les parents et les médecins, d’autres informaient en administrant des groupes fermés intitulés « Biomed » dans lesquels ils informaient les parents, répondaient aux questions allant même jusqu’à donner des conseils sur le dosage des médicaments. D’autres encore organisaient des levées de fonds pour soutenir leurs recherches. Ils étaient tous parents d’enfants autistes et avaient donc expérimenté ces « traitements » sur leurs enfants. Une femme, se présentant comme mère d’enfant autiste puis comme autiste, nous fit parvenir des copies d’écran venant de ces groupes dans lesquels elle s’était introduite. Elle avait envoyé notamment des posts de Vincent Dennery, Président d’Agir et Vivre l’Autisme (AVA) et responsable de plusieurs centres ABA.
La Fondation Autisme et ses administrateurs apparaissaient également plusieurs fois, soutenant Chronimed en réalisant des levées de fonds. Cette fondation était présidée par Bertrand Jacques et plusieurs figures de l’autisme comme Florent Chapel (Coprésident d’Autisme Info Service et Vice-Président de la Fondation Autisme), le Docteur Philippe Raymond. Ce réseau représentait 54 médecins, des correspondants en France, en Europe et des essais semblent avoir été faits au Maghreb. Il n’est donc pas étonnant que cette affaire, qui a suscité beaucoup de remous, ait mis du temps à sortir vu l’implication de tant de responsables associatifs et politiques influents.
Nous avions pourtant alerté la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, par mél le 30 juillet 2018, ainsi que le Premier ministre d’alors, Édouard Philippe. Nous avons rencontré la déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme, Claire Compagnon, le 1er août 2018 afin de lui remettre le dossier constitué de nombreuses preuves attestant ces pratiques. Deux années se sont écoulés avant que ces responsables politiques commencent à en parler officiellement mais en catimini, tout en essayant de faire croire aujourd’hui que la radiation le 26 février dernier du docteur Philippe Raymond par l’Ordre des médecins de l’Ain serait due à leur action.
A ce jour, Florent Chapel est toujours vice-président de la plateforme Autisme Info Service financée par des fondations privées mais aussi par le secrétariat d’État aux personnes handicapées et la région Île-de-France. Marion Leboyer siège toujours au comité de direction de la Fondation FondaMental. Et la Fondation Autisme est hébergée par la Fondation de France, qui n’a jamais répondu à nos sollicitations pour une interview.
Il a fallu de multiples articles de presse, une alerte lancée fin 2019 à l’ANSM par SOS Autisme France et Estelle Ast Verly, des articles de personnes autistes et une plainte de l’ANSM pour que le Parquet charge en septembre 2020 l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP) de la Gendarmerie Nationale d’enquêter sur la « mise en danger de la personne d’autrui » et des « infractions tenant à la réalisation de recherches impliquant la personne humaine ». A ce jour, un seul médecin du groupe Chronimed a été radié par son Ordre professionnel, et a fait appel. Pendant ce temps, nous attendons toujours la suite donnée à notre plainte…
Olivia Cattan, avril 2021.