Question : Vous êtes l’une des rares conseillères départementales handicapées; quel sentiment cela vous laisse-t-il ?
Émilie Gral : Je me suis lancée avec des idées plein la tête et beaucoup d’envie de faire bouger la ruralité, parce que je vis sur un territoire très rural, j’avais de la bonne volonté. Après, je n’ai pas spécialement regardé si j’étais la seule ou pas. Quand on m’a proposé d’être candidate, j’ai foncé tête baissée !
Question : Vous vous êtes engagée pour défendre la ruralité, les gens qui la vivent, ou bien la dimension handicap personnel a dominé puisque le Conseil Départemental est l’un des grands acteurs de la politique du handicap ?
Émilie Gral : Quand on m’a proposé cette candidature, c’est vrai que c’était compliqué sur nos petits territoires de constituer des binômes [chaque canton vote pour élire deux conseillers homme et femme NDLR]. Je connaissais mon binôme, Sébastien David, de réputation, on s’était rencontrés plusieurs fois. Lorsqu’il m’a proposé son projet et son intérêt à m’intégrer, je n’ai pas du tout pensé à la notion de handicap et de dépassement du handicap. Je suis quelqu’un qui aime les défis, je me suis mis en tête qu’il s’agissait d’un nouveau défi à relever. C’était aussi pour défendre des valeurs que mes parents m’ont transmises, qui ont guidé ma vie et que le sport m’a également apporté. Essayer de faire bouger les choses, d’apporter ma pierre à l’édifice aveyronnais, agir sur le handicap même si c’est difficile. Je voulais intégrer la commission action sociale pour secouer les idées reçues sur le monde du handicap, mais tout est très institutionnalisé, il est quand même assez difficile malgré toutes les bonnes volontés de faire bouger les choses…
Question : Quand on interroge des élus municipaux handicapés, ils estiment souvent que le niveau départemental est beaucoup plus politique au sens politicien du terme. Les majorités départementales, la droite, la gauche, est-ce que cela vous a fait peur ?
Émilie Gral : Si on est venu me chercher, c’est parce que j’avais un nom connu sur le territoire de par mes résultats sportifs. On est pas venu me chercher pour mes compétences politiques. Bien sûr, j’ai des opinions, je fais partie de la majorité départementale qui a des idées de centre-droit et de droite, ce sont des idées que je défends. Mais je ne suis pas encartée parce que je n’ai pas assez de recul en politique pour vraiment savoir quel parti me collerait le plus à la peau. Je laisse la politique politicienne à ceux qui ont du bagout et de l’expérience. Le rôle du conseiller départemental au quotidien, c’est plus du social, du relationnel, aller à la rencontre des gens, faire bouger, émerger des projets, trouver des solutions quand on est au pied du mur.
Question : Vous avez été éducatrice sportive à Réquista, dont Éric Bula, paraplégique, a été maire jusqu’en 2014, mandat qu’il a fini par abandonner par lassitude des conflits locaux et querelles politiques…
Émilie Gral : Justement, j’ai payé les frais d’un changement de politique municipale parce que j’avais été embauchée par Éric Bula, qui d’ailleurs ne partage pas les mêmes idées politiques que moi. La nouvelle municipalité a pris la décision de supprimer mon poste en activités physiques et sportives auprès des scolaires, jugé trop coûteux, avec l’idée de dire que la responsabilité de l’enseignement du sport revient aux enseignants et pas à une municipalité. Du coup je ne suis pas restée à Réquista alors que j’aimais beaucoup ce travail, j’étais très impliquée. Maintenant je suis maitre-nageuse à la piscine de Lacaune, dans le département voisin du Tarn. Ça me permet de scinder les deux activités et de ne pas avoir une casquette d’élue dans la collectivité qui m’emploie. A Lacaune, je ne suis pas la conseillère départementale, casquette que je reprends quand je suis dans mon canton.
Question : Avez-vous eu le sentiment d’être victime d’une discrimination liée au handicap ?
Émilie Gral : Pas du tout, je ne pense pas au niveau de l’équipe municipale. Et pour les enseignants et les parents que je rencontre encore, j’intervenais auprès d’une dizaine d’écoles publiques ou catholiques avec des élèves d’horizons très différents, ils m’ont dit qu’au contraire ça a apporté beaucoup aux enfants d’avoir une enseignante d’EPS handicapée. Ils ont pu comprendre que les limites, on se les fixe soi-même, ce ne sont pas les autres qui peuvent nous les fixer. Ils me voyaient évoluer, et tout faire même si j’ai un handicap relativement léger. Les enfants ont été sensibles à ça, ils ont vu mon handicap lors de la première séance et lors des suivantes ils ont complètement oublié qu’il me manquait un avant-bras.
Question : L’un des obstacles à l’accession à un mandat de Conseiller Départemental ou de Député est d’affronter les électeurs face à face, de femme à citoyens, comment s’est passée la campagne électorale ?
Émilie Gral : C’est vrai que j’ai un peu tous les fardeaux de l’élue : femme, jeune, handicapée. Déjà jeune, c’est compliqué de faire entendre sa voix quand on a 30 ans. Femme, je pense qu’à l’heure actuelle même si les choses avancent c’est tout doucement, la parole d’une femme n’a pas en France le même poids que celle d’un homme. Et en plus en situation de handicap ! Heureusement que j’ai un binôme qui m’a fait une place entière dans toute la campagne et encore maintenant dans l’exercice de mon mandat, lui a une grosse expérience en politique. J’ai plus ressenti le poids de la jeunesse et d’être une femme que du handicap.
Question : Quand la ruralité et l’éloignement se conjuguent avec un handicap physique ou sensoriel, comment cela se passe-t-il dans votre département ?
Émilie Gral : Ce qui est compliqué, c’est de maintenir des services publics. Il y a des territoires sur mon canton où il n’y a plus de bureau de poste, de distributeur de billets de banque, de gendarmerie, de perception, tout a été recentralisé à Saint-Affrique. Il y a les situations de handicap, mais le gros handicap dans nos territoires, c’est le vieillissement de la population. Elle ne maitrise pas les outils informatiques et ne peut pas remplir des procédures parfois complexes par Internet. La politique du département est de développer et entretenir les routes parce que si on est isolé des services publics et en plus par le réseau routier, c’est la mort de nos campagnes. Notre rôle est aussi de maintenir des antennes de services du département, pour la gestion de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie par exemple.
Question : Vous êtes à mi-mandat; quelle envie avez-vous d’un second mandat, et avez-vous été tentée au printemps de vous rapprocher d’En Marche, le parti présidentiel qui cherchait alors des candidats partout ?
Émilie Gral : Je n’ai pas la prétention, à mon âge et avec le peu de connaissances politiques que j’ai actuellement, de partir sur un mandat législatif. Je pense que pour être député il faut parfaitement connaître son territoire, maitriser le verbe, il y a beaucoup de notions compliquées. Qu’une personne lambda arrive à cette fonction-là me semble assez compliqué; derrière, elle va participer à la création des lois et des fondements de notre pays. Oui il y a eu des candidats En Marche et c’est très bien, un nouveau mouvement avec de nouvelles idées, mais concrètement si on ne connaît pas le territoire et ses problématiques, comment peut-on les défendre à Paris à l’Assemblée Nationale ? C’est pour cela que je soutenais un candidat qui est un ami, élu Les Républicains qui s’est fait élire député, parce que c’est un élu de terrain, de territoire et qui le connaît parfaitement.
Question : Vous aurez envie de rempiler pour un deuxième mandat au Conseil Départemental ?
Émilie Gral : Oui ! On gère beaucoup de choses, il y a le volet culturel, sportif, les collèges, les routes, le social qui est important et qui englobe la protection des populations, les migrants. Il y a beaucoup à gérer, des sujets qu’il faut apprendre à maitriser et je pense que sur un deuxième mandat, l’élu quel qu’il soit est plus efficace. Je pense que j’ai encore pas mal de choses à démontrer et j’ai des projets en tête, qu’on a commencé à construire et que j’ai envie de faire évoluer et de pousser pendant un second mandat.
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2017.