Depuis la réforme, en janvier 2018, du stationnement payant dans les rues, les difficultés s’amoncellent sur les usagers handicapés. S’ils bénéficient depuis mai 2015 d’une dispense de paiement à la condition d’afficher sur le véhicule qui les transporte une carte européenne ou mobilité-inclusion, ce droit est contesté par des municipalités. C’est notamment le cas à Lille (Nord), depuis quelques semaines : le contrôle automatique de paiement effectué par une voiture équipée d’un système de Lecture Automatique de Plaques d’Immatriculation (LAPI) ne fait pas la distinction entre les véhicules qui doivent payer et ceux qui en sont dispensés. Pour éviter aux propriétaires de ces derniers de recevoir un forfait post-stationnement de 17€, ils doivent désormais se signaler par trois méthodes : soit sur une appli mobile (EasyPark, Flowbird, et OpnGO, lire cet article), soit en inscrivant pour une durée de deux ans la plaque d’immatriculation sur un fichier informatique ou en retirant un ticket gratuit d’un horodateur en appuyant sur un bouton marqué du pictogramme fauteuil roulant. « J’ai essayé ce bouton, il ne fonctionne pas, déplore Olga Meurisse directrice régionale APF France Handicap. On n’a pas reçu de retour négatif de nos adhérents mais un de nos élus a été interpellé sur le sujet. Moi-même, j’ai été verbalisée une fois, j’ai contesté en envoyant copie de la carte mobilité inclusion et je n’ai jamais eu à payer. »
A Lille, la gratuité du stationnement consentie par la loi est limitée à 12 heures consécutives. « On est passé depuis quelques semaines à un système homologué par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, explique Jacques Richir, adjoint à la maire, chargé du stationnement. La CNIL autorise la verbalisation par LAPI mais avec l’obligation d’effacer les données dans un certain délai. » Or, la CNIL rappelle que ses recommandations de novembre 2017 restent en vigueur : « Attention : l’article 10 de la loi « Informatique et Libertés » interdit la prise de décision produisant des effets juridiques sur le seul fondement d’un traitement automatisé. Dès lors, les collectivités ne sauraient en aucun cas recourir à un quelconque dispositif de contrôle du paiement du stationnement automatisé de bout en bout. Le constat de l’absence ou l’insuffisance de paiement et l’initiation de la procédure de FPS doivent être réalisés par un agent de contrôle. » L’élu lillois oublie également que la CNIL a constaté l’impossibilité « de réaliser ce constat et d’établir le FPS à distance […] au regard notamment des difficultés qu’elle poserait pour les personnes bénéficiant de la gratuité du stationnement en raison de leur handicap. En effet, il n’est pas possible de réaliser à distance le contrôle de la détention d’une carte européenne de stationnement. Un tel contrôle nécessite que l’agent se rende sur place. » Lille comme Paris évoquée plus bas ont sciemment décidé de violer les droits des usagers handicapés pour faire de l’argent.
« On a rencontré à deux reprises dans la Commission Communale d’Accessibilité ‘Lille ouverte à tous’ la trentaine d’associations, poursuit Jacques Richir. On a expliqué que nous conseillons de se déclarer sur un site de la ville. Les cartes de stationnement sont vérifiées par les agents municipaux chargés du contrôle. Les premières à déplorer les fausses cartes sont les personnes handicapées elles-mêmes. Je connais assez bien le sujet, je suis médecin gériatre. » Mais l’élu municipal ne sait que répondre quand on lui demande pourquoi l’inscription d’une plaque d’immatriculation dans un fichier informatisé est réservée aux seuls résidents à la fois propriétaires d’une voiture et titulaires d’une carte de stationnement : il découvre cette incongruité. Et quand on lui rappelle que le législateur a décidé d’accorder la gratuité aux usagers handicapés pour leur éviter d’affronter des horodateurs inaccessibles ou en panne, ou des formalités justificatives, il répond : « Ça ne me paraît pas choquant en soi. Ces personnes peuvent se déplacer. Il ne faut pas tomber dans une espèce de discrimination, beaucoup ne s’en offusquent pas. » Et si les Lillois seront prochainement informés par un courrier de la Maison Départementale des Personnes Handicapées, les autres usagers du stationnement devront être prudents en séjournant dans la capitale du Nord.
Paris automatise et punit tout le monde
La capitale française est passée au contrôle automatique le 8 mars dernier, et de nombreux usagers handicapés du stationnement ont été sanctionnés depuis, comme à Lille. Deux adjoints à la maire, Jacques Galvani chargé du handicap et David Belliard des mobilités, se sont fendus d’une visite de terrain avec journaliste du Parisien obligé : « le stationnement des personnes en situation de handicap facilité », titrait sans rire ce quotidien. Au lieu d’afficher tout simplement leur carte de stationnement derrière le pare-brise, ces personnes sont désormais contraintes d’aller chercher un ticket gratuit dans un horodateur ou via une appli mobile : drôle de simplification. Les Parisiens peuvent mieux s’en tirer en inscrivant une plaque d’immatriculation dans un fichier informatique valable deux ans. Sauf que l’information du public s’est arrêtée à la visite de propagande des adjoints, et depuis une avalanche d’articles de presse a dénoncé les forfaits post-stationnement de 35 à 50€ infligés à des personnes qui sont exemptés de paiement depuis… 1986 ! C’est à l’époque où Jacques Chirac était maire de Paris que la gratuité du stationnement automobile leur a été accordée; 35 ans après, elle est remise en cause par une municipalité de gauche qui refuse de s’expliquer : l’adjoint écologiste David Belliard a obstinément refusé toutes nos demandes d’entretien.
C’est l’opposition municipale, le groupe Changer Paris, qui a précisé les conditions réglementaires des formalités infligées aux usagers handicapés. « Le Conseil de Paris n’a pas été saisi de la création du ticket Handi ; cette décision a été prise par un arrêté de la Maire de Paris, le n° 2021 P 10845. » Il s’agit donc d’une décision unilatérale de l’exécutif parisien. « En revanche, le groupe Changer Paris a porté le débat au sein du Conseil de Paris par un voeu déposé par Philippe Goujon, Agnès Evren, Gregory Canal et Anne-Claire Tyssandier lors de la séance du mois d’avril. Ce voeu avait été rejeté. » Il proposait d’organiser « une campagne d’information massive auprès des personnes en situation de handicap et de leurs aidants […] mettre en oeuvre toutes les garanties pour éviter les FPS indus » et décaler si nécessaire « l’application des nouvelles mesures le temps d’informer et de donner des garanties suffisantes aux usagers. » Mais la majorité municipale a décidé de poursuivre sa politique répressive en l’accentuant : elle a adopté un voeu du socialiste Jérôme Coumet demandant au Gouvernement d’avancer la date limite de validité des cartes européennes de stationnement, valides jusqu’au 31 décembre 2026, pour contraindre leurs titulaires à demander les nouvelles cartes mobilité inclusion stationnement considérées plus fiables. Là encore, certainement pour leur simplifier la vie…
Laurent Lejard, juin 2021.
PS : l’adjoint parisien écologiste David Belliard vient d’annoncer l’augmentation de 50% des tarifs et du montant des FPS, la suppression d’ici 2026 de la moitié des places de stationnement dans les rues, 60.000 sur 120.000 disparaitront entrainant une perte de recettes estimée à près de 200 millions d’euros par Changer Paris. Les habitants peuvent également s’attendre à la reproduction de l’avalanche de travaux à laquelle ils devraient apprendre à s’habituer, les stationnements devant être comblés pour agrandir les trottoirs ou remplacés par des bandes cyclables. L’adjoint ajoute que sur le nombre restant, un millier de places réservées aux véhicules transportant des personnes handicapées seront créées. A voir…