Privés de sorties culturelles depuis des mois, les amateurs commencent à retrouver le chemin des musées et vont découvrir de nouveaux établissements partout en France, dont quelques-uns à Paris. Parmi eux, la Collection Pinault est celle que le milliardaire octogénaire François Pinault a constituée au fil des ans pour compléter l’image de luxe qu’affiche son groupe, lui qui a fait fortune tel un Bernard Tapie qui a réussi. L’installation à Paris d’une partie de sa collection de création contemporaine résulte d’une quasi-cession pendant 50 ans de la Bourse de Commerce, halle au blé circulaire construite à la fin du XVIIIe siècle transformée début XIXe pour abriter les gros négociants. Une maquette tactile démontable en montre les différentes évolutions y compris l’intervention contemporaine du starchitecte japonais Tadao Ando : on lui doit la création des espaces muséaux dont un anneau de béton créant une seconde enceinte circulaire dans l’atrium (réversible paraît-il) dont le niveau supérieur offre une vue panoramique sur les édifiantes peintures murales de la voûte. Les alentours de l’ancienne bourse de commerce ont été également rénovés et piétionnisés (avec dépose-minute), mettant en valeur un bâtiment qui laissait naguère le passant indifférent.
La Collection Pinault ouvre avec une accessibilité culturelle étudiée (il manque toutefois un lien d’information facile à trouver sur le site web), même si l’offre en visites adaptées aux publics déficients visuels, auditifs ou mentaux reste à construire ; ces derniers disposent déjà d’un guide de visite en Facile à Lire et à Comprendre. Toutes les circulations sont accessibles et des aides techniques disponibles (prêt de fauteuil roulant, de siège pliant, amplification sonore individuelle sur écouteurs, loupe), les supports sont conçus en accessibilité universelle, un site spécifique et une appli mobile assurent l’audiodescription du lieu et des oeuvres dans une navigation qui pourrait toutefois être améliorée, des visites en Langue des Signes Française sont organisées pour des groupes, un guide braille présente le bâtiment. Les visiteurs handicapés (et un accompagnateur) disposent d’un accès gratuit et prioritaire sans devoir passer par la billetterie située dans un immeuble face à l’entrée. Pour des questions plus précises, vous pouvez interroger le référent accessibilité par courriel ou téléphone : 01 86 90 76 70.
Qu’y trouve-t-on ? Un musée de collectionneur fort de 10.000 oeuvres d’une grande diversité de genres, types, nations, âges des artistes, l’ensemble servant à des expositions tournantes. Ce qui n’exclut pas des monographies ou thématiques, avec une logique de continuité d’ouverture pendant la rotation d’oeuvres dans les salles. Une collection dont les lignes de force sont l’abstraction et la figure humaine ; sa perception nécessite toutefois des clés de compréhension fournies par les médiateurs présents dans les salles. Ce sont eux qui vous permettront, par exemple, de percevoir le sens du panneau de basket à appliques lumineuses en cristal et filet étroit de David Hammons qui « adopte les codes du marché de l’art tout en les critiquant » commente une médiatrice, ou de l’enlèvement des Sabines revisité par Urs Fischer, de la série de gobelets plastiques photographiés par Louise Lawler (The Helms Amendment -1989). L’art contemporain n’est généralement pas immédiatement perceptible, il ne faut pas hésiter à discuter avec les médiateurs qui sont ici pour ça. On sort de l’exposition inaugurale de la Collection Pinault avec un étrange sentiment contrasté : un homme aussi acharné à gagner de l’argent, y compris au détriment des employés des entreprises qu’il a achetées puis revendues, aurait donc la conscience du monde économique et financier d’exploitation qui broie les gens. Dans sa collection d’art tout du moins…
L’histoire de Paris devient accessible
Le musée Carnavalet est enfin totalement visitable par les personnes handicapées (entrée gratuite et prioritaire pour la personne handicapée et un accompagnateur mais réservation obligatoire), à l’exception d’une enfilade desservie par escaliers que l’architecte n’a pas affrontée (le musée des Arts et Métiers a, lui, résolu la difficulté il y a bien longtemps). Les autres sections inaccessibles ne le sont plus, des ascenseurs assurent désormais l’accès aux différents niveaux, archéologie comprise (installée au sous-sol).
C’est à une redécouverte de l’histoire de Paris qu’invite ce Carnavalet rénové, depuis les traces d’habitat mésolithique sous l’actuelle rue Henry-Farman (Paris 15e) jusqu’à notre époque, dans une présentation mâtinée d’accessibilité universelle : lutrins mettant en évidence des objets ou oeuvres mis en relief avec son, texte braille et noir, maquettes tactiles situant le musée dans la ville, tableaux et ustensiles placés à hauteur d’enfant et donc de fauteuil roulant (prêt possible). Une offre variée de visites thématiques permet l’inclusion adaptée de visiteurs en fonction de leur déficience. Initiative remarquable, des enfants ont dessiné leur vision d’une sélection d’oeuvres et leurs dessins sont reproduits à côté. On regrette toutefois des difficultés assez fréquentes de lisibilité de cartels composés de textes collés sur des vitrines.
L’accès s’effectue désormais par le 23 de la rue de Sévigné, dans le Marais (3e arrondissement), un secteur à trottoirs surélevés et pentus de part et d’autre de l’entrée, puis on parvient dans le hall après avoir traversé une cour à pavés qui auraient dû être rabotés, ce que l’architecte a refusé semble-t-il. Ensuite, tout va mieux et on peut profiter de la richesse et de la diversité d’un musée qui donne à voir dans un parcours chronologique les grands événements comme la vie quotidienne à toutes les époques. Ce sont toutefois les XVIIIe et XIXe siècles qui sont les plus riches en oeuvres et documents, même si le XXe siècle présente quelques pièces d’exception ; citons la bijouterie Fouquet dont le mobilier et le décor fut entièrement conçu par Alfons Mucha, la salle de bal de l’hôtel particulier des maîtres de forge de Wendel ou la célèbre chambre de Marcel Proust. On peut également partir à la recherche du Paris disparu pendant le Second Empire du fait des percées et du plan d’urbanisme du baron préfet Haussmann. C’est d’ailleurs à lui que l’on doit la création de ce musée d’histoire de Paris, tel un conservatoire de quartiers effacés puis recréés, ou une expiation des crimes commis contre le Paris populaire. Un Paris que l’on retrouve également dans l’évocation de la Commune qui, il y a 150 ans tout juste, a constitué l’unique expérience de vie réellement démocratique de la Capitale, avec des élus révocables à tout moment (un rêve désormais inaccessible en ces temps de professionnels de la politique attachés au pouvoir). Paris sera toujours Paris ? A vérifier à Carnavalet.
Laurent Lejard, juin 2021.