Le dimanche 3 juillet 2016, la mère de deux enfants dont une trisomique mettait fin à ses jours, à Armentières (Nord). Privée d’allocations, sans moyens d’existence, son appel à l’aide relayé par La Voix du Nord n’avait débouché que sur des réponses administratives et un peu de soutien social, le désespoir l’avait finalement emporté. Mais ce drame a profondément heurté Karine Héguy, mère d’un jeune dysphasique qui vit à 900 kilomètres de là, dans le Tarn. Elle a décidé d’agir en créant un collectif d’action parentale en mémoire de cette maman trop tôt disparue, et qui porte son prénom, le Collectif Émilie : « Ce qui m’a choquée, c’est qu’elle demandait de l’aide, dans un article de presse, et qu’elle n’avait pas été écoutée. » Un drame qui entrait en résonnance avec sa propre expérience : elle avait dû affronter l’enfer de prises en charge inadaptées pour son fils, et de l’Administration.
Le directeur de la MDPH mise en cause à l’époque du suicide d’Émilie à Armentières n’avait pas apprécié la création du Collectif Émilie, vécue d’abord par lui comme une agression. La discussion lui a montré que ce n’était pas le cas et que l’objectif était d’agir pour qu’un tel drame ne se reproduise pas. Ce collectif existe depuis un an tout juste et a aidé plus d’une cinquantaine de familles comptant un parent handicapé, pour obtenir de l’aide alimentaire, des relogements, meubles et objets du quotidien, allocations, personnels d’aide à domicile ou scolaire. En matière d’allocations, il est intervenu pour des familles du Pas de Calais, des Landes, du Val-de-Marne, des Pyrénées-Atlantiques et des Bouches-du-Rhône. Ses armes : la connaissance des droits et des procédures, une forte capacité de négociation et de la ténacité pour trouver une solution positive même si elle n’est pas entièrement satisfaisante, une volonté de sortir par le haut les familles en difficulté ou dépassées par ce qui leur arrive. Pour citer quelques actions, le Collectif travaille en partenariat avec la Caisse d’Allocations Familiales du Nord afin de prévenir l’enkystement de situations délicates. Pour obtenir des personnels d’accompagnement d’élèves handicapés, il a agit dans les Académies de Rouen, Caen, Versailles, Toulouse et Tours.
« On agit sur la mise en cohérence entre les administrations dont des rouages se coincent, et les situations d’urgence », explique Karine Héguy. Elle cite la situation de Donovan, 18 ans, qui a perdu l’usage d’un bras dès la naissance, et plus récemment des deux jambes à la suite d’une intervention chirurgicale : « La famille était épuisée, elle avait baissé les bras. On l’a portée, conseillée pour demander une indemnisation, financer un fauteuil roulant, des moyens de vivre. C’est une chaîne de solidarité, les gens qui ont été aidés aident à leur tour. »
Mère d’un enfant handicapé, Karine Héguy s’est plongée dans le droit du handicap et a créé un groupe Facebook sur les Dys il y a quelques années : « On fait la différence entre difficulté et handicap. On constate dans les départements et les MDPH des curseurs différents, des politiques variables d’un territoire à l’autre. Alors on agit auprès du Président du Conseil Départemental, du Défenseur des Droits, on essaie de taper haut. Et le politique a aussi un coeur, sait fait entendre raison à l’Administration et aux fonctionnaires ». C’est par ces actions que le Collectif Émilie a obtenu de plusieurs MDPH l’octroi d’heures d’Assistants de Vie Scolaire préalablement refusées aux enfants ou jeunes scolarisés. « On ne lâche rien, on trouve des solutions artisanales, on collecte auprès des familles pour payer un bilan, obtenir de l’aide, des vêtements, des matériels. On dit qu’on est les Mac Gyver du Handicap ! »
L’une des actions qui a mis le Collectif Émilie sous les feux des médias, c’est la grève de la faim menée en juin dernier par cinq mamans d’enfants handicapés sans solution. Toutes ont reçu des propositions suffisamment satisfaisantes (lire l’actualité du 23 juin 2017), rompant en tous cas avec cette inertie administrative habituelle capable d’épuiser les volontés les plus farouches. Autre action, en cours celle-là, l’accompagnement à la rentrée d’un élève handicapé par cinq parents volontaires venant se substituer à l’AVS qui ne lui a pas été attribué par la MDPH du Pas-de-Calais; chacun assurera une demi-journée d’accompagnement.
Karine Héguy privilégie néanmoins la négociation et voudrait, maintenant qu’une dynamique est lancée, prendre du recul : « On est des conciliateurs, en tissant un réseau qui constitue un moyen de pression. On est une goutte d’eau, je reste assez humble dans ma démarche. Je pense que j’ai fait mon temps, je souhaite transmettre et profiter de la vie… » Elle se méfie en effet des querelles d’égo trop présentes entre associations qu’elle ne voit plus guère agir sur le terrain. Et elle espère davantage de mobilisation médiatique : « La secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées nous a ouvert sa porte, Brigitte Macron veut agir. Quand on est sur le terrain, quelle que soit l’aide on la prend, même de Madame Macron… Je pense que l’outil médiatique doit jouer son rôle, alors que les médias ne sont pas là. Et gérer la prise de parole : comment je me situe, qu’est-ce qui est important ? » Pour Karine Héguy, il faut savoir s’effacer derrière la famille que l’on défend, sans mettre son égo en avant. Parce que son constat est sans appel : « On vit dans un pays riche, et dans une société qui n’est pas capable de gérer les plus fragiles. »
Laurent Lejard, septembre 2017.