Le 26 septembre dernier, le Premier ministre avait agi en fin politique en désamorçant un mouvement national de protestation de l’APF France Handicap. « Nous allons par voie réglementaire, dans les mois qui viennent, rendre obligatoire la construction d’ascenseurs dans les immeubles de trois étages et plus », avait annoncé Edouard Philippe à Cergy (Val d’Oise). La réglementation la rend obligatoire dans les immeubles comptant quatre étages et plus, l’abaissement d’un étage de ce seuil aux immeubles de trois étages en plus du rez-de-chaussée allait rendre accessible des milliers de logements aux personnes à mobilité réduite, et plus particulièrement handicapées motrices.
La réalité est totalement différente. Le projet de décret modifiant les règles applicables et que nous nous sommes procuré autorise la construction sans ascenseur d’immeubles plus élevés, par exemple de cinq étages comptant deux logements par niveau : « L’installation d’un ascenseur est obligatoire dans les parties de bâtiments d’habitation collectifs comportant plus de deux étages accueillant au moins douze logements situés en étages, au-dessus ou au-dessous du rez-de-chaussée. » Cet alinéa du projet de décret transmis à divers organes consultatifs remplacera l’actuelle disposition réglementaire : « L’installation d’un ascenseur est obligatoire dans les parties de bâtiments d’habitation collectifs comportant plus de trois étages accueillant des logements au-dessus ou au-dessous du rez-de-chaussée. » Si le texte reste en l’état, un promoteur ou constructeur pourra aller jusqu’à édifier sans ascenseur un immeuble de onze étages contenant un logement par niveau : idéal pour les parcelles étroites; plus de place perdue et sport pour tout le monde !
Aucun organisme n’est en mesure d’indiquer le nombre d’immeubles de trois étages comptant douze logements construits ces dernières années, cette statistique n’existe pas. Il est donc impossible d’extrapoler le nombre de logements potentiellement accessibles dans cette catégorie. Par contre, tous les immeubles dont le permis de construire sera déposé à partir du 1er octobre 2019 qui comporteront moins de douze logements pourront être bâtis sans ascenseur, une économie de quelques dizaines de milliers d’euros au détriment de l’accessibilité et du confort de vie des habitants. Exemples : cinq étages avec trois studios et un T2, trois petits T2, deux T3, un T5 et un T4 avec terrasse, quatre étages avec quatre studios, deux T2, un grand T3 et un petit T4. Ces types d’immeubles sont fréquents dans les programmes de rénovation urbaine ou de réhabilitation des quartiers à grands ensembles détruits. Ce sont les locataires des bailleurs sociaux, des HLM, qui vont pâtir des effets pervers de cette réglementation. Dans le privé en copropriété, cela fait longtemps que les immeubles d’au moins deux étages disposent d’un ascenseur, les futures constructions ne seront pas touchées si les promoteurs veulent vendre leurs appartements.
Ce sont donc les locataires HLM qui vont subir les conséquences de ce décret scélérat. Et plus massivement encore les candidats locataires handicapés : ils seront confrontés à la réduction à 20% du nombre de logements neufs accessibles, ce quota ne s’appliquant qu’à ceux qui sont de plain-pied ou desservis par ascenseur. C’est à une baisse considérable de l’offre de logements neufs accessibles et adaptés que vont être confrontées les personnes handicapées motrices. Fini l’installation dans la vie autonome, le changement d’appartement pour prendre un emploi, changer d’air, agrandir la famille, affronter un accident de la vie. Les futurs signataires de cette nouvelle mesure de ségrégation sociale s’appellent Julien Denormandie, ministre chargé du Logement (qui rappelait le 19 juin dernier au Sénat que son père chirurgien orthopédique renommé avait maintes fois « réparé » des personnes handicapées), Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat aux personnes handicapées (qui ne manque pas une occasion de clamer qu’elle a une fille handicapée), Edouard Philippe, Premier ministre en sursis. Celui qui, de par la Constitution, ne signera pas ce décret, c’est le Président de la République, Emmanuel Macron : lui ne parle plus aux Français, n’insulte même plus les « gaulois réfractaires au changement » ou les pauvres auxquels on donne un « pognon de dingue »; il se contente de les mépriser.
Laurent Lejard, décembre 2018.